Flagrant délit et théorie de l'apparence

Publié le 17 Juin 2017

Flagrant délit et théorie de l'apparence

Hier, nous avons publié un article sur les fouilles et palpations, ce qui nous a amené à aborder le thème du flagrant délit et de la théorie de l'apparence.

Certains individus qui relèvent plus du troll frustré que de juristes, ont tenté - entre deux injures - de nous faire un cours de droit. En substance, ils prétendaient que le flagrant délit ne pouvait être constitué que par la constatation immédiate et actuelle du délit, et non pas par la présomption sérieuse du délit.

Voici la partie du texte en question, sujet de prétendue polémique :

"Dans l’hypothèse où l’agent aurait un doute très sérieux sur la possession d’un objet dangereux ou interdit : Le soupçon.

Il y a lieu alors d’assimiler à l’acte délictueux proprement dit le soupçon de sa réalisation, alors même qu’il ne serait pas vérifié par la suite, si les circonstances de la cause le rendent vraisemblable. C’est l’application de la théorie des apparences."

L’appréhension de la personne présumée d’un flagrant délit est un pouvoir reconnu à toute personne. Ce pouvoir est défini à l’article 73 du CPP qui dispose “Dans le cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche”. L’article vise, selon les termes de l’instruction générale de la Chancellerie (1), “le cas d’une arrestation sans titre, très provisoire, ne s’accompagnant d’aucune formalité spéciale et qui n’a pour but que de conduire l’auteur d’un crime ou d’un délit flagrant devant l’officier de police judiciaire le plus proche”.

Le constat d’une infraction flagrante, qualifiée de crime ou de délit puni d’une peine d’emprisonnement, autorise une extension des pouvoirs coercitifs des agents de la force publique, voire même l’usage de la force. Une telle extension des pouvoirs des agents est justifiée, selon deux auteurs, “tout à la fois par la nécessité de satisfaire l’opinion publique en réagissant rapidement à l’événement ayant troublé l’ordre social, et par la possibilité fugace de recueillir rapidement et avec un maximum d’efficacité les preuves encore “fraîches” de l’infraction” (2). Deux notions juridiques recouvrent l’acception du mot flagrance : les situations de fait de la flagrance, qui se trouvent définies à l’Art. 53 CPP, et la procédure de police judiciaire dans le cadre de l’enquête de flagrant délit, prévue à l’Art. 54 et suivants du CPP. 

L’article 53 du CPP énonce : ”Est qualifié de crime ou délit flagrant, le crime ou le délit qui se commet actuellement (premier cas) ou qui vient de se commettre (second cas). Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique (troisième cas), ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit (quatrième cas). Est assimilé au crime ou délit flagrant, tout crime ou délit qui même non commis dans les circonstances prévues à l’alinéa précédent a été commis dans une maison dont le chef requiert le procureur de la République ou un officier de police judiciaire de le constater (cinquième cas)”.

Le législateur, mais également la doctrine et la jurisprudence, ont peu à peu élaboré une théorie qui concilie le principe de la liberté du citoyen à une action rapide et efficace de la police : la théorie de l’apparence.

La théorie de l’apparence paraît la mieux à même de rendre compte et de trouver une application satisfaisante aux différentes situations de fait de la flagrance, situations qui fondent dans la plupart des cas l’arrestation de l’auteur de l’infraction. Cette théorie, fondée sur la présomption du désordre, admet le droit à l’erreur. La doctrine a construit cette théorie autour de la notion d’erreur. L’erreur “raisonnable”, écrivent certains auteurs, exclut toute responsabilité pénale ou civile (3) à l’endroit de celui qui aurait opéré une appréhension sur des apparences trompeuses” (4). Appliquons cette théorie aux cas précédemment cités et qui se trouvent définis à l’art. 53 CPP.

L'apparence appliquée aux cas de flagrant délit :

- Pour “le crime ou le délit qui se commet actuellement”, que l’infraction soit visible, la publicité s’ajoutant alors à l’actualité, ou occulte, révélée dans cette situation par des “signes extérieurs et positifs”, la perception du désordre s’opère par le recours à des indices apparents.

- Le cas du “crime ou le délit qui vient de se commettre”, concerne en fait les suites matérielles de l’infraction, dont les éléments positifs vont permettre à l’agent de présumer la nature des faits, mais également du temps écoulé depuis la consommation de l’infraction. La présomption du désordre est ici renforcée par le fait qu” il est fréquent qu’au moment de la saisine le policier ignore le temps qui a pu s’écouler entre son intervention et la commission de l’infraction” : l’agent peut ainsi agir dans la cadre d’un flagrant délit sans que l’infraction soit, au moment de son intervention, flagrante. C’est ainsi la perception d’éléments de fait qui induisent, par le jeu de l’apparence, une telle présomption. Le fondement de fait de la flagrance semble, dans ces deux premiers cas, où l’arrestation de l’auteur présumé est dès lors possible, dominé par la théorie de l’apparence. (5)

- les circonstances de l’arrestation qui sont retenues: la clameur publique et la possession d’objets ou la présence de traces ou d’indices désignent à la police la personne, auteur présumé de l’infraction.

Sur la nature même de l'apparence :

A côté d’éléments matériels (objets, traces), il existe un élément qui ne connaît aucune définition légale : l’indice. Cet indice peut être présent sur la personne soupçonnée ; en ce sens où, comme l’écrit un auteur, cet indice “s’applique et s’assimile à une partie de l’être physique de la personne qu’il désigne” (6). Il est ainsi fait explicitement référence à l’apparence du suspect, à son signalement. L’indice, exigé par la jurisprudence (7), peut aussi se rapporter à un indice-attitude (8), c’est-à-dire à un indice dont la signification est fonction des circonstances de fait (fuite, “comportement suspect”..). Et ce d’autant plus que l’agent de police se saisit généralement d’une flagrance qu’il ignore le plus souvent tout autant que de son auteur véritable : pourtant, il doit agir et réagir vite face à l’apparition de tout désordre. (9)

Le policier va dès lors se fonder sur des indices : “une probabilité fondée sur l’apparence qu’engendre la possession ou la présence de certains éléments” (10). C’est ainsi encore l’apparence qui va légitimer le pouvoir d’arrestation exercé par l’agent.

Si l’apparence fonde la réaction policière, celle-ci doit toutefois être étayée par certains indices. La présomption doit être accompagnée de la vraisemblance (11). 

L’exigence d’une réaction policière rapide va ainsi se fonder sur la simple apparence d’un trouble à l’ordre public. La police agit sur des faits tels qu’ils lui apparaissent, la théorie de l’apparence exonère l’agent de la force publique de toute erreur éventuelle qui peut survenir dans l’exercice légal de ses pouvoirs coercitifs. Cette réalité de l’action policière est reconnue par la jurisprudence qui exige que l’infraction flagrante soit révélée par un “indice apparent” (12), qu’il soit matériel ou non (13), ajoutant ainsi par conséquent une exigence qui est absente des textes (14). 

L’exigence jurisprudentielle d’un indice apparent paraît ainsi éviter le risque de toute arrestation arbitraire (15). Mais elle permet également d’exonérer de toute responsabilité les agents de la force publique et de valider le plus souvent les actes de procédure par eux établis.

Conclusions 

C'est ainsi qu'un comportement suspect, une attitude, couplée à un refus de palpation et/ou de fouille, dans une situation particulièrement risquée peut justifier l'interpellation et la présentation à l'OPJ, car il y a une apparence de probable commission de délit. La nécessité de se prémunir d'un danger grave, dans certains cas, dominent l'action de l'agent de police.

1.Instruction générale prise pour l’application du Code de procédure pénale,, JO du 28 fév. et rect. 2 juil. 1959, reproduite à l’article C.131 alinéa 2 du Code de procédure pénale.

2.Ch. Parra, J. Montreuil,  op. cit., p. 181.

3.La jurisprudence l’a affirmée très tôt dans l’arrêt Cass. req. 8 août 1902, DP 1902, 1, 267, cité par J. Montreuil, op. cit., p. (27), n. 130.

4.Ch. Parra, J. Montreuil, op. cit., p. 222.V. l’arrêt cité Cass. 8 août 1900, D.1902, I, 267.V. égal T.C 15 janv. 1968 Sieur Tayeb, D.1968, p. 417, concl. Schmelek. Le tribunal correctionnel de Paris, 16ème Ch., 1er juil.1969, reconnaît pour sa part que “l’erreur étant humaine et pouvant être le fait des meilleurs” pour justifier l’appréhension par deux policiers de deux suspects, arrestation qui s’est avérée par la suite être une méprise.

5.Ibid., n. 563.

6.L. Langlois, op. cit. , § 25.

7. Pour une analyse détaillée de la notion d’indice par la jurisprudence, V. H. Matsopoulou, Les enquêtes de police, Tome II, Thèse Droit, Paris I, 1994, p. 469 et s.

8. Cass. crim. 13 janv. 1986 Venathathan, Bull. crim. , n°19, l’indice-attitude défini dans cet arrêt n’exclut pas toute forme de subjectivisme à la vue d’un comportement suspect .

9. Trib. corr. Charleville-Mézière 11 janv. 1984, Gaz. Pal., 1984, Somm., p. 170.

10. L. Langlois, op. cit. , § 26.

11. Ph. Conte, “ Un aspect de l’apparence vraisemblable au stade policier de la procédure pénale”, RSC, 1985, p. 477.

12. V. récemment un cas d’exigence d’ ”indices apparents d’un comportement délictueux” Cass. crim. 12 oct. 1995 Quemar, Bull. crim.,n°8, sept.-oct. 1995, pp 846-851. Même après une dénonciation anonyme d’une infraction cette exigence demeure : Cass. crim. 17 oct. 1995 Melloni et A., Dr. pén., n°2, fév. 1996, p. 16, note A. Maron.

13. Comme élément matériel : carte d’identité, V. l’arrêt Friedel précité.

14. V. Cass. crim. 22 janv. 1953 Isnard, JCP 1953, éd. G, II, 7456 ; Cass. crim. 30 mai 1980 Gomez-Garzon, Bull. crim. n°165,et toute la jurisprudence citée par J. Montreuil,  op. cit., p (13), n. 47 ; exigence affirmée récemment, dans un tout autre domaine, V. l’arrêt Cass. crim.2 mars 1993 Frances, Gaz. Pal., n° 174, 23 juin 1993, p. 8 (l’arme, dont la découverte dans la boîte à gants d’un véhicule accidenté ne résulte ni d’une fouille ni d’une perquisition, constitue un indice apparent au sens de l’art. 53 CPP).

15. V. à cet égard l’opinion de D. Mayer, op. cit.

Rédigé par SDPM

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