Un maire peut-il prendre un arrêté pour porter un masque obligatoire ? Point de vue juridique de M. Patrick JACQ, Président des Tribunaux administratifs et des Cours administratives d’appel

Publié le 10 Avril 2020

Un maire peut-il prendre un arrêté pour porter un masque obligatoire ? Point de vue juridique de M. Patrick JACQ, Président des Tribunaux administratifs et des Cours administratives d’appel

Patrick JACQ est Président honoraire des Tribunaux administratifs et des Cours administratives d’appel, ancien professeur associé de la faculté de droit de Nice (chargé du cours sur les polices municipales en master 2 Sécurité Intérieure), ancien membre du corps préfectoral et auteur de l’ouvrage « Le maire et son pouvoir de police », aux éditions de la vie communale et départementale, 5ème édition.

Plusieurs maires, dont le maire de la commune de Sceaux et le maire de la commune de Royan, ont décidé de rendre obligatoire dans l'espace public, une protection sur le visage. Ceci peut être un masque ou un tissu. D'autres maires (Nice, Cannes etc...) ont déclaré être favorables à une telle mesure.

Le Ministre de l'Intérieur s'est vivement opposé à ceci et a demandé aux Préfets d'agir contre ces arrêtés. Le Juge des référés a suspendu, à la demande de la LDH, celui du maire de Sceaux et le maire de Royan  est revenu en arrière.

Qu'en est-il du point de vue du droit ?

M. Patrick JACQ, à la demande du SDPM, revient sur cette affaire et nous livre son point de vue éclairé : 

Les maires au chœur des débats sur le port du masque dans la lutte contre le Covid-19.

Alors que le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a suspendu  à la demande de la Ligue des droits de l’homme ce jeudi 9 avril 2020 l'arrêté pris par le maire de Sceaux (Hauts-de-Seine) imposant aux habitants de plus de dix ans de sortir le visage couvert dans les rues de la commune, le ministre de l’intérieur a annoncé ce jour même avoir demandé le retrait des arrêtés similaires pris par d’autres maires ces derniers jours. 

Pour suspendre l’exécution de cet arrêté, le juge des référés a considéré que le recours à une telle mesure n’était justifié par aucune circonstance locale et portait une atteinte grave à la liberté fondamentale d’aller et de venir et à la liberté personnelle des personnes concernées. La ville de Sceaux a décidé de faire appel devant le Conseil d’Etat.

Cette affaire illustre, une fois de plus, les problèmes de l’articulation entre les pouvoirs de police du maire et les pouvoirs de police du préfet. 

Les pouvoirs de police du ministre de la santé et des préfets

Le ministre de la santé dispose de prérogatives importantes en matière sanitaire en application de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique : «  En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l'état d'urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire.

Le ministre peut habiliter le représentant de l'Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d'application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles. Ces dernières mesures font immédiatement l'objet d'une information du procureur de la République.

En outre, les articles L. 1311-1 et suivants du code de la santé publique prévoient un ensemble d’articles relatifs à la protection de la santé et de l’environnement, qui permet l’adoption de décrets en Conseil d’Etat, fixant les règles d’hygiène et « toutes mesures propres à préserver la santé de l’homme », en matière de « prévention des maladies transmissibles ».  L’article L. 1311-4 du CSP prévoit ainsi que « en cas d’urgence, notamment de danger ponctuel imminent pour la santé publique, le représentant de l’Etat dans le département peut ordonner l’exécution immédiate, tous droits réservés, des mesures prescrites par les règles d’hygiène prévues au présent chapitre ». 

Les pouvoirs de police des maires

L’article L. 2212-2, alinéa 5 du code général des collectivités territoriales (CGCT), confie au maire, au titre de son pouvoir de police administrative générale, « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, […] les maladies épidémiques ou contagieuses […], de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ».  Cet article est complété par les dispositions de l’article L. 2212-4 du même code, selon lequel, « en cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l’article L. 2212-2, le maire prescrit l’exécution de mesures de sûreté exigées par les circonstances. Il informe d’urgence le représentant de l’Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu’il a prescrites ».  

Depuis le début de l’épidémie, les maires, du fait de leur proximité avec la population locale, sont des acteurs locaux majeurs de la chaîne décisionnelle et opérationnelle en multipliant les mesures pour tenter de limiter la propagation rapide de la pandémie dans leur commune et en mettant en œuvre les multiples mesures prises par le Gouvernement sur le plan national et au niveau départemental.

La combinaison des pouvoirs de police des maires et des préfets  

Afin d’éclairer le débat, il faut signaler que, saisi d’un référé liberté, le Conseil d’Etat a rappelé, par une ordonnance en date du 22 mars 2020 Syndicat Jeunes Médecins n°439674, rendue par une formation de jugement composée de trois magistrats, les pouvoirs du Premier ministre, des préfets et des maires en cette période de grave crise sanitaire comme celle du Covid 19, en précisant :

- d’une part, que le représentant de l’État dans le département et le maire disposent, dans les conditions et selon les modalités fixées en particulier par le CGCT, du pouvoir d’adopter, dans le ressort du département ou de la commune, des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d’épidémie et compte tenu du contexte local 

- et d’autre part, qu’il appartient à ces différentes autorités dans la situation actuelle de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.  

En conséquence, le Conseil d’Etat a rappelé que, dans le cadre de leur pouvoir de police, les représentants de l’Etat dans les départements comme les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient.  

En l’espèce, pour justifier l’arrêté contesté, le maire de Sceaux a fait valoir que le port d’un masque ne faisait que renforcer les « mesures barrières » actuellement en vigueur, que ce port était d’ailleurs recommandé par l’Académie nationale de Médecine et que cette mesure répondait au souci de protéger les personnes âgées, population particulièrement vulnérable face au virus, lors de la levée future du confinement.

Dès lors que les circonstances locales le justifient, le maire est légitime à intervenir et a même l’obligation d’intervenir au titre de ses pouvoirs de police administrative générale dès lors que les circonstances locales le justifient et sur le fondement des dispositions de l’article L. 2212-4 du CGCT, dès lors que les circonstances locales le justifient.

L’existence de pouvoirs de police spéciaux reconnus au préfet pour lutter contre la pandémie, n’a pas empêché certains maires, en présence d’un péril grave et imminent, d’user de leurs pouvoirs de police générale pour sauvegarder la santé publique et assurer le maintien de la sécurité publique, en prenant des arrêtés municipaux plus contraignants imposant par exemple des couvre-feux nocturnes pour faire respecter davantage les mesures de confinement entrées en vigueur. 

Ces interdictions prises par les maires sont plus restrictives que les mesures prises par l’Etat.  Leur légalité est subordonnée à quatre grandes limites : leur proportionnalité aux buts recherchés ; leur intelligibilité et leur limitation dans le temps et l’espace, en raison de l’atteinte que ces mesures sont susceptibles de porter aux libertés publiques.

Ainsi, les autorités publiques, chargées de garantir l’ordre public sanitaire, ne peuvent apporter aux libertés d’autres restrictions que celles qui sont adaptées, nécessaires et proportionnées par rapport à l’objectif escompté de freiner la propagation de Covid-19.

Un strict contrôle de proportionnalité s’exerce sur toutes les mesures qui apportent des restrictions aux libertés publiques mais ce contrôle est souvent atténué par les impératifs sécuritaires et sanitaires liés au contexte actuel de crise sanitaire.  

ll ne faut pas oublier par ailleurs que la responsabilité de la commune peut être engagée si le maire n’a pas pris les mesures de police nécessaires en matière sanitaire. La carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police générale afin de garantir la sécurité ou la santé publique des citoyens est de nature à engager la responsabilité de la commune sur le fondement de la faute simple. La commune est ainsi responsable des dommages causés par l’incurie du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police sanitaire (CE 13 février 1948, « Compagnie C/ Commune Caluire-et-Cuire », à propos d’une épidémie de fièvre typhoïde). Ce peut être aussi parce que le maire, bien qu’informé ou connaissant l’existence de risques, n’a pas pris de mesures de police ou les mesures idoines et/ou n’a pas mis en place les mesures qui s’imposaient afin d’assurer l’exécution desdits arrêtés. Il en résulte, que dès qu’un risque existe, fut-il minime voir improbable, le maire a l’obligation d’agir comme vient de le rappeler le Conseil d’Etat dans son ordonnance du 22 mars 2020. 

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