Le SDPM dans la presse : Sécurité à Bordeaux : pourquoi est-il si difficile de recruter des policiers municipaux ?

Publié le 18 Janvier 2021

Sécurité à Bordeaux : pourquoi est-il si difficile de recruter des policiers municipaux ?

Pierre Hurmic, le maire EELV de Bordeaux, veut doubler l'effectif de la police municipale durant son mandat. Problème, recruter et conserver les agents s'avère très compliqué.

Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, compte recruter plus de dix policiers municipaux par an. Les effectifs de la police municipale seraient jusqu’ici sous-dimensionnés (©La Marne/Illustration)

Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, compte recruter plus de dix policiers municipaux par an. Les effectifs de la police municipale seraient jusqu’ici sous-dimensionnés (©La Marne/Illustration)

Bordeaux est à la traîne en terme d'effectif
Bordeaux compte 140 employés dans le service de la police municipale, mais seulement 70 sur le terrain. Soit 4,84 policiers municipaux pour 10 000 habitants, l’un des taux les plus faibles de France (juste devant Rennes, à 3,47/10 000). En France, la ville de Nice occupe la première place avec 550 policiers municipaux, soit 16,05 agents/10 000 habitants.

« La sécurité publique est une affaire d’État, mais la mairie ne doit pas s’en désintéresser ». Cette phrase est signée Pierre Hurmic, le maire EELV de Bordeaux (Gironde), sur les ondes de France Bleu, le 6 janvier 2021, quelques jours après la fusillade aux Aubiers qui a fait un mort – un adolescent de 16 ans – et quatre blessés par balle. 

Depuis le début de sa mandature, il réclame « plus de bleus » sur le terrain, exigeant davantage de moyens de l’Etat pour lutter contre la délinquance. Il vise aussi à réorganiser le service de police municipale tout en doublant le nombre d’agents sous son mandat passant de 70 à 140 personnes sur le terrain, soit environ dix policiers supplémentaires par an.

Cet objectif, il n’est pas le seul à l’afficher publiquement. En France, lors de la campagne des municipales, de nombreux candidats ont multiplié les promesses de hausse des effectifs, alors même que les postes créés par le passé ne sont pas encore tous pourvus. Dans la capitale girondine comme ailleurs…

« Un effectif et un dispositif totalement insuffisants au regard de la réalité de Bordeaux »

Si les polices municipales se sont généralisées ces dernières années (elles étaient autrefois réservées aux plus grandes villes) avec un quasi-doublement des effectifs en vingt ans – environ 13 000 agents en 1999, plus de 23 000 en 2019 d’après le ministère de l’Intérieur – la filière se trouve (encore) en tension. Le Syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM) estime qu’il manque actuellement entre 3 000 et 4 000 agents en France.

À Bordeaux, « l’idée n’est pas d’atteindre un dispositif absolument hors norme comme dans certaines villes du sud-est. Il s’agit d’atteindre la moyenne nationale », explique Amine Smihi, adjoint au maire chargé de la sécurité, à Actu.fr. 

À notre arrivée, nous avons découvert un effectif et un dispositif qui étaient totalement insuffisants au regard de la réalité de cette ville et de ces huit quartiers de 40 000 habitants chacun (NDLR). À l’instant "T" d'une journée, nous n'avons que trois équipages disponibles pour couvrir ces huit quartiers. Amine Smihi adjoint au maire chargé de la sécurité

Patrick Alvarez, le secrétaire général CGT des municipaux de Bordeaux, se dit surpris auprès d’Actu.fr :

Le maire déclare qu'il faut du "bleu" dans les rues. Mais les policiers municipaux ont pour consigne d'éviter un certain nombre de quartiers, comme les Aubiers ou Grand Parc. Alors, ça nous fait un peu rigoler... Patrick Alvarez secrétaire général CGT des municipaux de Bordeaux

Au-delà de ce (présumé) problème d’organisation, pour lui, l’objectif affiché par la majorité écolo ne serait pas suffisant : « il faudrait entre 160 et 180 policiers sur le terrain. » 

Concurrence féroce entre les villes

En matière de recrutement, la concurrence entre les villes peut devenir féroce. (Très) courtisés, les agents sont en position de force. « Dans notre ville, quand vous recrutez un policier municipal, deux ou trois quittent l’effectif », lâche Patrick Alvarez. Pour lui, « il faut rendre notre ville plus attractive. On démarre avec un gros déficit ». 

Souvent, les policiers sont formés – « la formation coûte en moyenne 9 000 euros et six mois hors du terrain », précise Amine Smihi – avant de partir là où l’herbe est la plus verte. Cette réalité touche Bordeaux comme d’autres villes en France.

Les municipalités qui reçoivent des policiers municipaux formés doivent s'acquitter du remboursement des frais de formation à la municipalité de départ. Nous sommes très attachés à veiller au respect de cette règle contractuelle. Il me semble que le recouvrement ne s'opérait pas du tout de manière satisfaisante et encore moins systématique sous la précédente mandature. Amine Smihi

« La commune doit savoir attirer »

Pour éviter de se faire piller, quels sont les leviers de la municipalité ? Un policier local, sous couvert d’anonymat : « La commune doit savoir attirer en matière de primes, d’avantages… » En effet, la concurrence pousse les collectivités à augmenter les rémunérations des agents, très inférieures à celles de la police nationale ou de la gendarmerie. D’une ville à l’autre, « le revenu peut varier de 500 euros », estime Cédric Michel, le président du SDPM, à nos confrères de Médiacités.

Dans la capitale girondine, « les primes sont déjà conséquentes », assure Patrick Alvarez. Il poursuit : « C’est un + mais ce n’est pas le point le plus déterminant. » Amine Smihi : « Les régimes indemnitaires sont globalement assez élevés. On peut faire des améliorations même si on a des contraintes budgétaires. »

« La question de l’armement létale est un faux débat »

L’aspect financier n’est pas le seul paramètre déterminant. Le niveau d’armement et d’équipement pèse aussi dans la balance. 

En France, la question autour de l’armement létal a repris vigueur avec les dernières tragédies de Conflans-Saint-Honorine et de Nice, où les policiers municipaux furent à chaque fois sur la ligne de front. Le débat fait rage dans de nombreuses villes et oppose parfois même les maires à leurs propres agents, comme à Clermont-Ferrand.

Les policiers bordelais disposent de pistolets à impulsion électrique (ou Taser), bâtons de défense, bombes lacrymogène… Mais pas d’arme à feu. (Visiblement) au grand dam d’une grande majorité d’entre eux. Sur cette question, Pierre Hurmic est « contre » l’armement létal, refusant de céder aux sirènes sécuritaires. « Certains disent que c’est un obstacle au recrutement de policiers municipaux, je n’en suis pas persuadé », se défendait-il, l’été dernier, lors d’une conférence de presse.

Pour Amine Smihi, il s’agit d’un « faux débat ». Il poursuit : 

Ce qui est déterminant, c'est la présence de policiers municipaux et nationaux sur l'ensemble du territoire et en quantité suffisante. C'est ce qui donne de la sécurité aux agents lorsqu'ils interviennent. Amine Smihi

L’adjoint évoque par ailleurs le coût supplémentaire engendré par des armes létales. « Qui dit armement dit une augmentation très importante des coûts de notre police municipale. Ça a des conséquences. » Ce n’est pas tout.

Cela implique aussi un changement de catégorie d'armes impliquant des formations, des certifications et probablement qu'une partie des effectifs ne sera pas en en mesure de les atteindre. Amine Smihi

De son côté, Nicolas Florian (LR) se positionne très clairement pour un armement létal de la police municipale ainsi qu’un déploiement de la vidéo-protection. L’ex-maire l’a encore rappelé sur les ondes de France Bleu, le 15 janvier dernier.

 

Au même moment, le cap a été franchi chez le voisin, Pessac. En effet, lors d’une réunion organisée pour répondre aux violences commises le soir du 31 décembre dans le quartier de la Châtaigneraie-Arago, Franck Raynal, le maire, a annoncé trois grosses mesures : un armement de la police municipale, une extension du dispositif de vidéoprotection ainsi que la création d’un centre de supervision urbain, dont les travaux débuteront au 1er semestre 2021.

La galère de logement

Autre problème de taille pour le recrutement : le prix de l’immobilier à Bordeaux qui freinerait un certain nombre de policiers municipaux ainsi que leurs familles. « Comme les primes, cette question fait partie de l’attractivité sociale », analyse un bon connaisseur du dossier, à Actu.fr. Amine Smihi, l’adjoint chargé de la sécurité, ne minore pas cette réalité. Alors comment faire ? 

Nous espérons mobiliser une partie de nos logements municipaux pour essayer d'accompagner les personnels qui sont trop loin. C'est une vraie nouveauté sur laquelle nous travaillons. Amine Smihi

Il y a (encore) du pain sur la planche pour la nouvelle majorité. Pierre Hurmic refuse de revoir son objectif de recrutement à la baisse. De son côté, Patrick Alvarez confie « ne pas être très content de ce qui se passe en ce moment. » Alors, très prochainement, la CGT va présenter au maire et à ses adjoints un « projet global d’organisation de la police municipale de Bordeaux et de ses missions », avant une conférence de presse prévu le mois prochain. « La précédente majorité avait peu repris nos propositions, si ce n’est la création d’une brigade canine », déplore ce dernier.

Une brigade canine dont la création avait (déjà) été annoncée par Nicolas Florian, fin 2019. Pierre Hurmic, lui, tablait sur une mise en action fin 2020. « Ce sera fait dès que possible », répond aujourd’hui Amine Smihi. Sans donner de date. « Le principe de cette brigade est acté, budgété. Nous sommes en cours de recrutement. Nous allons démarrer avec deux policiers municipaux dotés de leur propre chien et nous verrons ensuite à l’usage pour la développer ou non. »

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