20minutes : Pourquoi les villes galèrent-elles autant à recruter des policiers municipaux ?

Publié le 1 Mars 2023

SECURITE Face à la très forte demande de créations de postes et au manque d’attractivité du métier, de nombreuses municipalités éprouvent des difficultés à trouver des policiers municipaux. Les candidats, eux, sont en position de force.

Publié le 28/02/23 à 09h32

Des nouveaux policiers municipaux le 18 octobre 2021 à Paris. — S.Samson/AFP

Des nouveaux policiers municipaux le 18 octobre 2021 à Paris. — S.Samson/AFP

Quelque 8.000 besoins de recrutement de policiers municipaux ont été recensés sur le mandat 2020-2026.
Le métier, jugé dangereux et mal-aimé, a besoin d’être revalorisé financièrement, estiment les syndicats.
Les communes refusant l’arme à feu semblent avoir plus de mal que les autres à convaincre les candidats.

« Il y a toutes les chances qu’elles échouent. C’est une évidence. » Cédric Michel, président du syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM), en est convaincu : un grand nombre des villes ayant annoncé en début de mandat une augmentation des effectifs de leur police municipale ne parviendront pas à honorer leur promesse électorale. Il faut dire que la profession est fortement sollicitée. Près de 8.000 besoins de recrutements ont été comptabilisés sur l’ensemble du territoire entre 2020-2026, selon le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Près de la moitié seraient encore non pourvus. La principale pénurie se trouve en Ile-de-France, notamment à Paris, où il manquerait ainsi près de 400 postes. Mais des villes comme Lyon, Nantes, Grenoble, Lille, Bordeaux peinent, elles aussi, à attirer suffisamment.

« Le problème est connu depuis une dizaine d’années mais le déficit s’est aggravé depuis les dernières élections municipales, observe Cédric Michel, dont le syndicat national se revendique comme le premier de la profession. Enormement de communes ont ouvert des postes pour répondre à la demande de leurs habitants et il y a aujourd’hui plus de postes vacants que d’agents disponibles. »

« L’Etat a peu à peu délaissé la charge de la sécurité quotidienne aux maires, ils se sont mis à recruter massivement et, dans le même temps, la série d’attentats a accéléré le besoin de sécurité de la population », confirme Serge Haure, secrétaire fédéral Interco CFDT.

« Quitte à se faire molester, autant travailler pour la police nationale »

Si les candidats sont en nombre insuffisant, c’est d’abord en raison du manque d’attractivité d’un métier jugé souvent « ingrat ». « Lorsqu’on est confronté quotidiennement à la violence, aux injures, à la misère humaine, sans aucun remerciement et avec des contrôles permanents, c’est pesant », confie un ancien policier parisien. « On a des maladies liées au stress. De plus en plus de syndromes post-traumatiques », ajoute Cédric Michel. Le manque d’attractivité s’expliquerait aussi par des horaires parfois compliqués (soirée, week-end…) et des salaires pas assez attirants.

« Quitte à se faire critiquer, molester, autant travailler pour la police nationale, souligne Serge Haure. Financièrement, c’est beaucoup plus intéressant. Certains pays, comme l’Espagne, ont augmenté les salaires de leurs policiers municipaux et ne connaissent pas de pénurie. »

Le manque de concours ouverts et l’engorgement des formations obligatoires, que ce soit en formation initiale ou continue, handicapent aussi les évolutions d’effectifs. La création annoncée de quatre écoles (Marseille, Montpellier, Angers, Meaux) d’ici à 2024 « fera du bien » mais « l’Etat aurait dû anticiper bien avant », estime la CFDT. Quant aux quelques policiers nationaux souhaitant rejondre les rangs d’une municipalité, le plus souvent pour un rapprochement familial, ils sont parfois « bloqués » par leur administration.

« Ils sont en position de force »

Dans ce contexte, les candidats au recrutement, extrêmement convoités, ont aujourd’hui l’embarras du choix. « Ils sont en position de force. Ils étudient les conditions et sélectionnent les communes les plus attractives », remarque Serge Haure.

« Ils font leur marché, abonde Cédric Michel. La concurrence est telle que les maires qui les veulent le plus sont obligés de mettre les moyens. » Si la rémunération proposée est évidemment un critère permettant aux municipalités de se distinguer, ce ne serait pas le principal, notamment parce qu’elle est encadrée.

« Les conditions de travail, la situation géographique, comptent beaucoup également. On sait par exemple que les villes du sud attirent davantage que celles du nord », complète Serge Haure.

Mais les deux syndicalistes sont d’accord pour considérer que le critère numéro un serait l’armement. Les villes refusant d’équiper leurs agents d’arme à feu, comme Paris ou Rennes, auraient davantage de difficultés à séduire. « Nous ne souhaitons pas aller dans ce sens, assume Pascal Bolo, adjoint au maire de Nantes, ville où moins d’une cinquantaine de recrues sur les 120 créations de promises dans le mandat sont, pour l’heure, arrivées. L’objectif d’une police municipale est d’apaiser les situations, de rassurer. Une arme qui tue ne protégerait pas davantage nos policiers. Il y a d’autres moyens pour dissuader. »

« Ne risquez pas votre vie pour ces maires »

« Un bâton télescopique, un Taser, ça ne suffit pas, répond le patron du SDPM. La société est de plus en plus violente. Sans arme à feu, les policiers municipaux estiment qu’ils ne sont pas en sécurité. Nous leur disons "n’allez pas vous mettre en danger". Ne risquez pas votre vie pour ces maires. »

« Sur toutes ces questions, il faut que les maires sachent exactement ce qu’ils veulent. Veulent-ils une vraie police ou non ? », interroge Serge Haure.

En attendant, les municipalités se contentent de petites victoires. Bordeaux, qui s’est mobilisée « sur la qualité de vie au travail », se félicite d’un « nombre de postes vacants historiquement bas » (10). Nantes, qui a assoupli son processus de recrutement, vient de signer « six agents supplémentaires depuis décembre ». « Franchement, je ne vois pas d’amélioration à moyen terme, s’inquiète le secrétaire fédéral Interco CFDT. Les élus le savent très bien. Sans un grand tour de table porté par l’Etat, on n’y arrivera pas. Et, au final, c’est l’usager qui trinque. »

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