Biarritz : le Maire qui faisait sauter les PV et discréditait ses propres agents
Publié le 29 Juin 2013
BIARRITZ (Biarròt en Gascon / Miarriztar en Basque normalisé)
Le maire a-t-il fait sauter trop de PV ?
Didier Borotra assume. En partie. Une information judiciaire est ouverte. Enquête
Le maire de Biarritz avait également réduit les risques de recevoir un PV : les infractions au téléphone portable, ceinture etc... ne devaient plus être relevées selon une note datant de 2008 (Archives Jean-Daniel Chopin)
Faire intervenir une relation pour faire sauter un PV est une pratique que l’on jurait révolue. Mais, à Biarritz, l’attachement à cette tradition prend une vilaine tournure. Le parquet de Bayonne a ouvert en avril 2012 une information judiciaire contre X, pour « destruction, soustraction ou détournement de fonds publics ou pièces en tenant lieu par personne dépositaire de l’autorité publique ou l’un de ses subordonnés ». Une juge d’instruction a été désignée. Parmi les personnes implicitement visées figure Didier Borotra, ancien sénateur, et maire (Modem) de la ville depuis 1991.
À Biarritz, les automobilistes contrevenants semblent en effet particulièrement protégés de l’appétit des finances publiques. Un rapport d’audit de la régie de la police municipale (PM) mené par la Direction départementale des finances publiques des Pyrénées-Atlantiques (et dont « Sud Ouest » a eu connaissance), sur la période de mars 2009 à décembre 2010, relate, à titre d’exemple, que, en vingt mois, pas moins de « 3 619 verbalisations ont été annulées » ! Soit « 10 % des verbalisations établies » par la PM, précise l’audit (transmis sur le tard à la justice), un chiffre qui équivaut à… dix fois la moyenne nationale ! Des annulations « illégales », pour l’Inspection des finances. Car ces procédures généreuses ne peuvent être effectuées que par un officier du ministère public. Or, les services des finances n’ont pas trouvé trace de transmissions des demandes d’annulation à un représentant du procureur. Et pour cause, les PV (pour la plupart de stationnement) étaient, semble-t-il, directement effacés dans le logiciel de saisie (particulièrement permissif) de la régie de la police municipale. « Le régisseur interrogé indique qu’il s’agit d’annulations sur injonction de l’ordonnateur saisi de demandes d’indulgence », indique l’inspecteur dans son rapport. En clair… sur ordre de la mairie !
« Tout passe par moi ! »
Joint par « Sud Ouest », Didier Borotra assume. En partie. « Toutes les annulations passent dans mes mains », assure l’édile, qui a même établi trois catégories d’indulgences. « Le premier problème, c’est les PV donnés à tort. Notre police municipale n’est pas très qualifiée. Très souvent, elle met des contraventions qui n’auraient pas dû être mises », explique-t-il. « Ensuite, il y a le problème des médecins et des infirmières, qui ont du mal à stationner pendant l’été lors de leurs visites. » Dernière raison : « Un certain nombre de personnes âgées qui mettent en évidence les difficultés qu’elles ont à vivre dans leur ville à cause de sa saturation. » « Toutes donnent lieu à des autorisations de ma part en liaison avec le service de réglementation. »
C’est précisément cette tendance de l’édile à s’approprier la prérogative du ministère public qui semble faire sérieusement tiquer la justice. « C’est risible ! Le responsable de la police municipale, c’est le maire. Je n’ai pas le sentiment d’être inéquitable. De toute façon, je n’ai pas été entendu, et si le procureur veut m’interroger, qu’il le fasse. S’il y a un responsable, c’est moi ! J’attends », répond Didier Borotra, qui semble prêt à se lancer dans un bras de fer.
Mais, à l’évocation de l’ampleur supposée des annulations « maison », il conteste : « C’est faux. Je ne connais pas le chiffre que vous évoquez. De toute façon, je suis incapable de vous dire combien il y en a, ça ne se passe pas comme ça. »
Selon nos informations, on trouvait d’ailleurs parmi les heureux bénéficiaires des indulgences de la Ville de Biarritz des personnes n’appartenant pas aux catégories avancées ci-dessus (sans qu’il nous soit possible de dire dans quelle proportion) : des propriétaires de grosses cylindrées, des commerçants, d’anciens sportifs… À Biarritz, l’affaire tournerait même au secret de polichinelle. D’autant que les policiers municipaux auraient reçu pour consigne, face à tout contrevenant mécontent, de renvoyer vers le maire. Un message reçu 5 sur 5 par certains administrés ! « J’ai fait passer deux PV au secrétariat du maire, et le tour était joué. C’est vrai qu’ici les choses se font un peu à l’ancienne », déclare à « Sud Ouest » ce contrevenant, ni vieux ni médecin, mais proche de la majorité municipale… « Moi, je suis passé par le chef de la police, que je connais. J’ignore si mes PV ont été transmis à la mairie ou annulés directement (1) », reconnaît cette autre figure de la cité basque, sous couvert d’anonymat.
Le maire a-t-il eu la main plus lourde qu’il ne le reconnaît ? Ou d’autres protagonistes ont-ils à son insu participé à l’œuvre d’indulgence envers les administrés biarrots ? « Impossible, tout passe par moi », assure Didier Borotra.
« Soupçon de clientélisme »
Néanmoins, pour répondre à ces questions, les limiers de la PJ sèment la terreur dans la cité basque depuis de longs mois, multipliant les auditions des agents, mais aussi des cadres de la mairie, semblant se rapprocher inexorablement du sommet de la pyramide municipale et de la hiérarchie de la PM. Mardi dernier, une perquisition dans les règles au sein des locaux de la police municipale n’est pas passée inaperçue dans les services de la ville. Car, pour la seule période de 2009 à 2010, le coût pour les finances publiques de ces largesses supposées aurait été estimé à près de 70 000 euros ! Et s’il était prouvé que ces pratiques présumées se sont étalées sur une période débordant celle de l’audit, dans des proportions similaires, l’addition pourrait prendre un tour spectaculaire !
Il faut préciser que les risques pour les conducteurs biarrots de recevoir un PV avaient déjà été considérablement atténués par Didier Borotra lui-même. En témoigne une note de service émanant du directeur de la police municipale et que « Sud Ouest » a consulté : « Sur décision du sénateur maire datant du vendredi 16 mai 2008 », « ne seront plus relevées les infractions suivantes : téléphone portable, ceinture, contrôle technique, non-apposition d’assurance ». De son côté, l’édile se défend d’avoir « interdit » et préfère parler de « réorientation des missions vers une police de proximité » tout en récusant l’interprétation bien tentante qui voudrait qu’il cherche par ce biais à s’assurer la sympathie de ses électeurs. Le document aurait en tout cas été transmis à la justice. La fin de la belle vie à Biarritz ?
(1) Sollicité, le directeur de la police municipale (également régisseur) n’a pas souhaité s’exprimer « tant que l’information judiciaire est en cours ».