Ce que la Loppsi va changer
Publié le 9 Février 2011
Le très controversé projet de loi d’orientation pour la performance de la sécurité intérieure a été entériné le 8 février 2011 par le Parlement. Il introduit des changements majeurs pour les acteurs locaux.
Fin du feuilleton.
Après 12 mois de discussions polémiques, l’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté définitivement, le 8 février, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la
sécurité intérieure (Loppsi), dernière étape du circuit parlementaire avant promulgation.
Véritable fourre-tout législatif, le texte final a été considérablement durci lors de la commission mixte paritaire (CMP) du 26 janvier, qui a donné un nouveau tour de vis aux dispositions les
plus controversées, comme les peines planchers pour les primodélinquants.
Sans surprise, les collectivités territoriales voient leurs compétences considérablement étendues :
- Augmentation des missions des polices municipales,
- nouvel encadrement juridique de la vidéosurveillance,
- rôle dévolu aux collectivités dans la vie des familles.
Le texte introduit des changements majeurs pour les acteurs locaux. Lesquels, d’ailleurs, ne dissimulent pas leur scepticisme. Tour d’horizon.
Nouvelles salve de compétence aux
policiers municipaux - Parmi les principales dispositions intéressant les collectivités, la nouvelle salve de compétences attribuées aux policiers municipaux constitue
sans doute l’inflexion la plus marquante.
Sous l’autorité d’un officier de police judiciaire et en cas d’accident de la circulation ou d’infraction routière, les agents pourront dorénavant procéder aux dépistages de l’alcoolémie et des
stupéfiants.
Autre innovation : ils auront la possibilité de participer au contrôle d’identité et de fouiller les bagages lors des événements rassemblant plus de 300 personnes.
La procédure d’agrément des agents est par ailleurs simplifiée.
Directeurs de police municipale APJ,
une mesure emblématique -Mesure emblématique, les directeurs de police municipale obtiennent la qualité d’agent de police judiciaire (APJ), à l’instar des policiers et des gendarmes
nationaux. Elle pourrait autoriser les directeurs de service à conduire des « enquêtes du quotidien », selon la formule d’Eric Ciotti, rapporteur du projet de loi à
l’Assemblée.
En réalité, si l’on se réfère au Code de procédure pénale, cette qualité d’APJ leur permettra :
- de constater les crimes et les délits par procès-verbal,
- de recueillir des renseignements sur l’auteur d’une infraction et ses complices,
- voire de procéder à des perquisitions.
Un décret est attendu. Paradoxalement, cette nouvelle habilitation judiciaire n’emporte l’adhésion que des parlementaires qui l’ont votée. « Nous n’étions pas demandeurs », commente un représentant syndical, selon lequel les directeurs vont désormais être absorbés par des tâches procédurales, au détriment du contact avec la population.
Les maires embarrassés
- Des réserves qu’exprime aussi la direction générale de la police nationale qui, selon un récent rapport de l’Inspection générale de l’administration, y voit aussi le
risque d’un « accroissement de la charge qui pèse sur les OPJ par un effet mécanique ».
Les employeurs, eux, ne cachent pas leur embarras. En mars 2010, l’Association des maires de France s’était opposée à cet élargissement des compétences, justifiant ainsi son refus de répondre aux
revendications sociales et salariales des syndicats.
Pour sa part, l’APVF dénonce « un transfert de charges insidieux ». Les parlementaires ont toutefois ignoré ces critiques, adhérant au souci
d’« efficacité » mis en avant par le ministre de l’Intérieur.
La vidéosurveillance
rebaptisée- Autre évolution introduite par la Loppsi : le développement de la vidéosurveillance – rebaptisée « vidéoprotection » – sera favorisé par l’extension des
finalités justifiant une installation et la possibilité donnée aux collectivités de déléguer le visionnage des images à des opérateurs privés.
En outre, les personnes morales pourront filmer la voie publique pour assurer la protection des abords de leur bâtiment.
Par ailleurs, les bailleurs sociaux auront la possibilité de transmettre aux forces de police, y compris municipale, les images des systèmes mis en place dans les parties communes des immeubles.
Encadrement juridique
- S’agissant de l’encadrement juridique de la vidéoprotection, l’autorisation reste une prérogative de l’Etat, exercée par les commissions départementales
dédiées.
La Cnil sera toujours l’autorité de contrôle, mais s’est vu retirer, en CMP, son pouvoir d’avertissement
public.
Le maire sera globalement mieux informé par la commission départementale.
Quant à Commission nationale de la vidéoprotection, elle jouera un rôle de conseil et d’évaluation auprès du gouvernement.
Côté élus, le mécontentement reste grand concernant l’insuffisance des financements et la primauté accordée, dans les enveloppes de l’Etat, à la vidéosurveillance, au détriment des actions
sociales et éducatives. Une inquiétude relayée en janvier par le Conseil national des villes dans une « recommandation » adressée au Premier ministre.
Relance de la responsabilité parentale
– La Loppsi multiplie par ailleurs les dispositions destinées à responsabiliser les parents, en y associant davantage les collectivités. Objectif : relancer les contrats
de responsabilité parentale (CRP), créés en 2006 et totalement… ignorés par les collectivités.
A ce jour, seul le département des Alpes-Maritimes, présidé par Eric Ciotti (UMP), s’en est emparé, signant 200 CRP. Dorénavant, l’initiative de conclure un tel contrat, actuellement réservée au
président du conseil général, sera étendue aux parents du mineur. L’exécutif départemental pourra également être saisi par le préfet.
De plus, comme c’est déjà le cas pour les maires, le président du conseil général sera informé par le procureur de la République des décisions prises concernant un mineur.
Droits et devoirs des familles
– Enfin, au niveau communal, les conseils des droits et devoirs des familles, présidés par le maire, seront rendus obligatoires dans les villes de plus de 50.000
habitants. L’ambition est, là aussi, de faire appliquer un dispositif jusque-là boudé par les maires, soucieux de ne pas se transformer en « shérifs ».
Enfin, soulagement pour bon nombre d’élus locaux, le dispositif-surprise adopté en janvier à l’Assemblée et visant à lier l’attribution du Fonds interministériel de prévention de la délinquance à
la mise en place de mesures de responsabilisation parentale a été retoqué en CMP. Il ne figurera donc pas dans la loi.
Le couvre-feu confié aux préfets
Au terme de vives discussions, le Parlement a finalement donné son feu vert à la possibilité donnée aux préfets d’instaurer un couvre-feu général pour les mineurs non accompagnés « de 13 ans »
entre 23 heures et 6 heures, s’ils les jugent exposés « à un risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité ».
Cette compétence, jusque-là réservée aux maires, pourra donc aussi relever du préfet.
Une mesure contestée par l’opposition. « La prise en charge doit être sociale et non répressive », ont-ils insisté.
Le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, a lui souligné l’utilité d’une telle disposition en cas de violences urbaines ou dans les territoires occupés par les
trafiquants.
Le couvre-feu individuel réservé aux jeunes faisant déjà l’objet d’une mesure éducative et dont les parents ont signé un contrat de responsabilité parentale relèvera du juge pour enfants.
« Les mesures sont guidées par des objectifs de court terme », selon Sébastian Roché, sociologue, directeur de recherche au CNRS
« Les évolutions actuelles poursuivent la lente montée en puissance des maires dans la gestion de la sécurité publique. On étend logiquement la compétence des maires d’une part, et des
agents d’autre part mais on étoffe également les outils techniques. Le fait que le système de police français évolue pour donner plus de poids au bas (le maire) qu’au haut (le ministre) est en
soi plus qu’une bonne chose, c’est une nécessité. La centralisation est un véritable obstacle à des politiques locales qui répondent aux besoins de la population.
Cependant, le renforcement des maires va à son tour bloquer le système : c’est au niveau des métropoles qu’il convient en réalité de construire le système de police du futur. A la fois pour des
raisons pratiques d’organisation, mais également pour celles ayant trait à la nécessaire démocratisation locale de la police. Comment les maires vont-ils accepter de perdre ce qu’ils viennent de
gagner? Difficilement. Faute d’une analyse stratégique des tendances, les mesures sont guidées par des objectifs de court terme, satisfaire les maires offensifs sur le thème de la sécurité et
stimuler l’installation de la vidéosurveillance déclarée (sans preuve) principal remède à la délinquance.
Charles Gautier, président du FFSU regrette « un transfert de compétences sans dialogue ni moyens »
« Cette Loppsi entretient la confusion dans le partage des compétences, particulièrement au sujet du rôle confié au maire en matière familiale. Les élus n’ont pas attendu la loi pour
effectuer un travail de proximité auprès de leurs administrés.
En revanche, aucun ne souhaite s’immiscer dans la chaîne pénale.
Autre confusion : la vidéosurveillance, prescrite par le gouvernement, est principalement financée par les collectivités. Quant à la police municipale, seules les villes les mieux loties peuvent
en créer une pour compenser la baisse des effectifs de gendarmes ou de policiers. En clair, l’Etat abandonne sa mission de sécurité intérieure et se repose de plus en plus sur les collectivités.
Le problème est que ce transfert de compétences a lieu sans dialogue ni moyens. Il est urgent que le gouvernement entende l’appel des élus locaux pour une clarification des responsabilités dans
le domaine de la sécurité».