Chiffres de la délinquance : les vols à la hausse, les autres comportements délinquants restent stables
Publié le 24 Novembre 2011
Le rapport annuel de l’Observatoire nationale de la délinquance et des réponses pénales, présenté le 22 novembre 2011, passe au crible l’évolution récente de l’insécurité. Selon le sociologue Laurent Mucchielli, ces chiffres infirment le discours politico-médiatique.
Les Français ont déclaré avoir été victimes de quatre millions de vols en 2010, près de trois fois plus que les chiffres officiels, selon une enquête d’opinion dressant un état des lieux de la délinquance, « préoccupation » qui, comme la pauvreté, reste importante pour plus de 16% des sondés.
4 millions de vols déclarés - L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a publié le 22 novembre, pour la cinquième année consécutive, une enquête dite de victimation qui tranche avec les statistiques officielles, souvent sujettes à controverse, qu’il est en charge de diffuser mensuellement. Ainsi, en 2010, selon cette enquête réalisée auprès de 17.000 personnes de 14 ans et plus, quelque 4 millions de vols sont déclarés contre 1,5 million rapportés dans les statistiques de la police et de la gendarmerie.
En marge de sa présentation, le président de l’Observatoire Alain Bauer a rapporté que les chiffres des forces de l’ordre montraient qu’ »entre deux et cinq mineurs sont tués par d’autres mineurs tous les ans », et que, d’une manière générale, en matière de violences il y avait « autant de mineurs auteurs que de mineurs victimes ».
Les vertus des enquêtes de victimation - Avec l’Insee, l’ONDRP a interrogé les Français sur les faits de délinquance dont ils se disent victimes afin de donner un autre éclairage que les chiffres enregistrés par les forces de l’ordre souvent à partir des plaintes. M. Bauer a cité « deux grandes évolutions » d’une enquête à l’autre : une « augmentation importante des vols avec violences contre les femmes sur la voie publique », et une « augmentation majeure des agressions contre les personnels de première ligne, tels médecins et pompiers ».
Pour 2009-2010, 280.000 personnes de 18 à 75 ans se déclarent aussi victimes de violences sexuelles (hors ménages) alors que 10.000 plaintes ont été enregistrées par les policiers et gendarmes en 2010. « Le taux déclaré de plaintes par les Français est parfois très faible », observe Cyril Rizk, un responsable de l’Observatoire. « Il y a parfois, pour certains délits, dix fois plus de victimes que de plaintes enregistrées et moins d’un Français sur dix déclarant déposer plainte. D’où la pertinence des enquêtes de victimation pour compléter les statistiques officielles », selon l’ONDRP.
Une évolution très hétérogène - 290.000 personnes interrogées, dont 145.000 femmes, disent avoir été victimes de vols ou tentatives avec violences ou menaces en 2010, soit une hausse « significative » entre 2008 et 2010 par rapport aux années précédentes. Les violences physiques et sexuelles hors et intra ménages sont en baisse, elles, les secondes s’élevant toutefois à quelque 820.000 – sur deux années – chez les adultes.
« Pour la première fois en cinq ans, les violences physiques et sexuelles sont en baisse, à la fois hors et intra ménage », ce qui n’était en particulier « pas le cas au sein des ménages l’an dernier », a relevé Christophe Soulez, responsable exécutif de l’Observatoire.
Persistance des violences familiales - 380.000 personnes, en grande majorité des femmes, affirment encore avoir été victimes de violences sexuelles et physiques d’un conjoint. Un « taux stable », selon l’ONDRP, montrant toutefois à nouveau l’importance et la persistance du phénomène des violences familiales que les statistiques officielles ne révèlent pas toujours. L’enquête reflète toutefois, selon M. Rizk, les mêmes « tendances » que la délinquance rapportée par le gouvernement : baisse des vols, à l’exception des cambriolages qui grimpent, hausse de certaines violences aux personnes, le point noir depuis plusieurs années.
Autre phénomène peu ou jamais abordé, le sentiment d’insécurité que près de 15,8% des Français ressentent à domicile et qui reste, selon lui, « à son niveau le plus élevé » en 2010 (13,3% en 2008). De même s’agissant de leur perception de la délinquance : pour 16,4%, ce problème est « préoccupant » – plus que les années passées -, presque autant que la pauvreté (19%), le chômage venant en tête (36,2%).
« Le rapport de l’ONDRP dément en réalité l’augmentation des violences », selon le sociologue Laurent Mucchielli
Dans un article mis en ligne sur son site internet, le sociologue Laurent Mucchielli apporte une lecture critique des chiffres présentés par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Selon le chercheur du Centre d’étude sociologique du droit et des institutions pénales, les enquêtes de victimation, sur lesquelles s’appuient l’ONDRP, « montrent clairement la stabilité (voire la légère baisse) de la plupart des comportements délinquants qu’elles recensent ». Partant des chiffres contenus dans ces enquêtes, Laurent Mucchielli ne « constate nulle part la hausse importante des violences que présupposent les discours déclenchés à l’occasion de chaque fait divers ». Et de préciser : « En dehors du cas très précis des vols avec violence ou menace commis sur des femmes (et qui s’accompagnent étrangement d’une forte baisse parallèle des vols sans violence ou menace commis sur des femmes), la totalité des indicateurs indiquent des stabilités voire de légères baisses. On vérifie en outre une fois de plus que les violences sexuelles les plus fréquentes surviennent au sein de la famille et non de la part d’inconnus ».
Pour Laurent Mucchielli, ces résultats, « qui ont tant de mal à être entendus dans le débat public, corroborent ceux d’autres enquêtes », comme celles menées par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme Ile-de-France. « Ils invitent donc à rechercher ailleurs que dans l’évolution de la réalité délinquante les raisons de l’importance du sentiment d’insécurité parmi nos concitoyens », ajoute-t-il. Et de conclure : « Le rapport de l’ONDRP dément en réalité l’augmentation des violences mais il a un double discours consistant à présenter d’un côté des enquêtes de victimation et de l’autre de contribuer – ou de ne pas réfréner – l’emballement médiatique faisant état de hausses à partir des statistiques officielles de la délinquance ».