Coupables pour leurs enfants délinquants ? Le point de vue de Philippe BILGER, Procureur de la République
Publié le 5 Juillet 2010
Le blogueur Philippe Bilger argumente ici contre le projet de loi pénalisant financièrement les parents d'enfants délinquants.
utant j'ai toujours approuvé la volonté du candidat puis du président Sarkozy de vertébrer un droit des mineurs qui, entre compréhension et impuissance, était dépassé par une réalité
envahissante, autant je suis réticent devant une politique qui déciderait de rendre les parents pénalement responsables de leurs enfants mineurs délinquants.
Eric Ciotti, présent lors de l'annonce faite par le président de la République, considère que « sanctionner les parents démissionnaires au portefeuille permettrait de réhabiliter leur
responsabilité. » Il se propose d'introduire cette disposition dans Loppsi 2 qui sera examinée au Sénat à l'automne (Voir l'article de
Delphine Chayet dans le Figaro ).
Il me semble que derrière son apparence de rigueur et de bon sens, une telle démarche risque plus de constituer « une fuite en avant » qui, mêlant les parents au processus, croira ainsi
faire oublier l'échec social et judiciaire à l'égard des enfants mineurs, délinquants de plus en plus précoces et pour des transgressions de plus en plus graves. Cette dernière constatation,
qui a suscité le débat pour une justice des mineurs plus efficace, moins angélique, rend encore plus sujet à caution le transfert de cette problématique spécifique sur les adultes parce
qu'ayant une influence directe sur leurs enfants, ils devraient pouvoir sans cesse les dissuader du pire. Ce qui est clairement un voeu pieux et une méconnaissance de la vie familiale, qu'elle
soit aisée ou défavorisée.
Il n'empêche qu'en général, la délinquance des mineurs, dans sa répétitivité et son caractère parfois presque inéluctable, si elle implique, pour être jugée et condamnée, qu'on n'occulte pas les
responsabilités individuelles et libres, ne sort pas d'un terreau social et économique privilégié. Pénaliser financièrement les familles concernées serait aggraver des conditions et des
existences collectives déjà affaiblies et, surtout, remplacerait abusivement, pour ces communautés, la réparation ou l'assistance sociale par un coup de force pénal. Rien n'empêche que le débat
judiciaire ajoute, à l'analyse du délit, à la mise en évidence de la responsabilité personnelle, la prise en compte de l'humus social. C'est la force de la justice que d'être contrainte, pour
être équitable, à se soucier du singulier et du pluriel. En revanche, hors du judiciaire, il serait malvenu de s'empresser de pénaliser ce qui n'appelle qu'un regard politique au sens large.
Même si les principes généraux du droit s'opposent à la responsabilité du fait d'autrui, je ne pense pas que cet argument soit décisif. La représentation nationale peut tout se permettre dès lors
qu'elle précise bien la nature et les limites de cette responsabilité parentale. Mais, outre qu'il y a déjà des délits qui répriment le comportement coupable des parents à l'égard de leurs
enfants, le projet d'une responsabilité pénale des parents à cause de leurs enfants est à mon sens infiniment discutable parce qu'il serait fondé sur l'idée fausse que des parents, s'ils le
désiraient, pourraient mettre un terme à la délinquance de leurs enfants mineurs et que donc on aurait le droit de les incriminer pour le compte d'autrui.
Tout démontre au contraire que les parents sont « les aventuriers du monde moderne » et que c'est leur prêter un pouvoir démenti quotidiennement, ici ou là, dans la soie ou la dureté,
que de les croire inéluctablement et nécessairement gardiens, à leur gré, de la moralité de leurs enfants même mineurs. Une responsabilité pénale du fait d'autrui n'a de sens, en l'occurrence,
que si l'impuissance des uns inattentifs ou désinvoltes est obligatoirement compensée par la réussite des autres exemplaires et vigilants. Or on sait que la déviation peut
frapper partout et comme le souligne l'avocat Jean-Yves Liénard, « on peut être un parent tout à fait admirable et avoir perdu le contrôle de son enfant ».
En définitive, faire assumer pénalement aux parents les comportements répréhensibles de leurs enfants constituera une initiative démagogique, injuste et, dans tous les cas,
superficielle. Cela n'aidera pas à réduire la délinquance mais en donnera seulement l'impression. Décidément, comme l'essentiel n'est pas réformable ou à manier avec précaution, on
s'occupe avec le reste : les parents seront à la peine.
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