Délinquance : la justice en accusation
Publié le 9 Décembre 2010
Analysant les statistiques de la Chancellerie, un député UMP dénonce un système de moins en moins efficace.
Le palais de justice de Saint-Gaudens.
Combien de malfaiteurs ont été réellement sanctionnés par des tribunaux depuis 2002? Combien de personnes condamnées à un an de prison ferme ont-elles été effectivement placées sous écrou? En clair, la justice prend-elle comme il faut le relais de l'action policière? Depuis le début de l'année, Éric Ciotti, député UMP des Alpes-Maritimes et rapporteur de la loi d'orientation pour la sécurité, bientôt débattue à l'Assemblée, a posé des dizaines de questions écrites à l'ancienne garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, afin de réaliser son propre audit du système pénal. Au cœur de cette analyse, la «réponse pénale», correspondant au nombre de malfaiteurs poursuivis devant les tribunaux ou faisant l'objet de mesures alternatives (rappel à la loi, travaux d'intérêt général…).
«Failles et incohérences»
Des 136 réponses qu'il a obtenues, et dont il livre la primeur au Figaro, il déduit que «la réponse pénale a connu une amélioration en trompe l'œil», pointant du doigt de multiples «failles» et «incohérences». Ce député, souvent reçu à l'Élysée, appelle de ses vœux «une grande loi d'orientation pour la justice» (voir interview ci-dessous), convaincu, dit-il, que «ce chantier sera une priorité pour le vainqueur de la prochaine présidentielle». Voici sur quoi il fonde son diagnostic.
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Première surprise: alors que la Chancellerie annonce crânement avoir fait grimper le taux de réponse pénale depuis 2002 de «68% à 87%», l'on découvre que seules ont augmenté les réponses dites alternatives, comme les rappels à la loi, fort peu contraignants, ou les tentatives de réparation, de conciliation et autres rendez-vous dans les maisons de justice. Le taux d'affaires réellement poursuivies devant les tribunaux a même baissé depuis huit ans, passant de 46% en 2002 à 45% en 2009. Éric Ciotti constate d'autres évolutions surprenantes: le nombre de jugements correctionnels a, par exemple, baissé de 15% entre 2002 et 2009, le nombre de mises en examen de 13% et les mandats de dépôts de 16%. «Dans le même temps, le taux de comparution immédiate est passé de 10% à 8%», révèle-t-il. «C'est bien simple, s'exclame Bruno Beschizza, l'ancien patron du syndicat Synergie-Officiers aujourd'hui conseiller régional en Seine-Saint-Denis, un glissement sémantique s'est opéré: là où la justice parle de réponse pénale accrue, il s'agit en fait d'une augmentation des substituts aux sanctions, qui sont autant d'outils imaginés pour masquer la pénurie judiciaire.»
Un grand préfet résume d'un trait le problème: «Les policiers ont trop souvent le sentiment de ne pas être suivis par certains magistrats.» À l'entendre, les gains de productivité de la police, ces dernières années, ont été totalement absorbés par «un système qui n'ose pas assez sanctionner, en tout cas, pas au sens où l'entendent les victimes». Un procureur général nuance pourtant le propos: «La justice a simplement changé d'approche, dit ce haut magistrat, elle condamne certes moins par le biais des comparutions classiques, mais ceux qu'elle renvoie devant les tribunaux sont des cas plus sérieux, sanctionnés plus lourdement.»
Le député Éric Ciotti en convient. Mais il constate que «pour les petites affaires, celles dont l'auteur encourt moins de deux ans de prison, la consigne est de privilégier le placement alternatif, bref la solution molle. Quel message adresse-t-on alors au délinquant?», interroge-t-il. D'autant que la sanction prononcée n'est pas toujours exécutée. Dans les documents que lui a aimablement transmis la Chancellerie, le nombre de peines non exécutées, qui s'accumulent au fil des ans, figure à l'unité près: «82 153», selon une étude de l'Inspection des services judiciaires. Les rédacteurs de ce document, se voulant rassurants, indiquent, sans rougir, que «75% de ces peines environ devraient faire l'objet d'un aménagement».
Sylvie Feucher, la secrétaire générale du syndicat des commissaires, le déplore pour sa part: «Aujourd'hui, dit-elle, la sanction n'intervient qu'au bout d'une longue chaîne de récidive, surtout pour les mineurs, alors qu'il faudrait une réponse immédiate et ferme.» Dans Le Nouvel Observateur, le mois dernier, le socialiste François Rebsamen ne disait pas autre chose: «Pour être efficace, déclarait le maire de Dijon, il faut que la sanction tombe au premier acte de délinquance, qu'elle soit immédiate, proportionnée aux faits et surtout qu'elle soit appliquée!» Le nouveau garde des Sceaux, Michel Mercier, a du pain sur la planche.