Enquête. Les réponses de la justice à la délinquance des mineurs
Publié le 30 Décembre 2010
De récents faits divers sont venus nous rappeler que nos enfants pouvaient être violents, qu'ils pouvaient même, à 13 ou à 15 ans, braquer des commerces.
À l'image de Moussah, ils sont plusieurs centaines à déraper, chaque année, dans la délinquance. La solennité de l'audience contribue à leur faire prendre conscience de la gravité de leur comportement.
De récents faits divers sont venus nous rappeler que nos enfants pouvaient être violents, qu'ils pouvaient même, à 13 ou à 15 ans, braquer des commerces.
Déjà perturbés par l'épreuve de l'adolescence, ces jeunes sont souvent fragilisés par un milieu social défavorisé, une scolarité chaotique, auxquels viennent parfois s'ajouter des carences familiales. Un jour, ils franchissent le pas de la délinquance, parfois même de la criminalité. Loin des clichés et des idées reçues sur la permissivité des parents et le laxisme supposés de la justice, nous avons voulu comprendre comment fonctionne la justice des mineurs, qu'une ordonnance de 1945 a organisée sur deux fondements essentiels : la primauté de l'action éducative et la notion de l'être en devenir.
D'ordinaire, les audiences de cabinet (dans le bureau du juge) ou devant le tribunal pour enfants se déroulent à huis clos. Une mesure nécessaire, destinée à les protéger. Non qu'il faille les excuser. Mais parce qu'en dépit des actes parfois graves qu'ils ont posés, ils sont et demeurent des enfants, au regard de la loi.
Nous avons été autorisés à pénétrer dans l'enceinte du tribunal pour enfants d'Orléans, où se croisent beaucoup d'adolescents paumés, de parents éprouvés, d'éducateurs et de magistrats nullement résignés. Nous avons pu constater que les actes de délinquance restent rarement impunis et qu'aux mesures éducatives succède souvent une sanction pénale qui peut aller jusqu'à de la prison ferme. Nous avons également acquis l'intime conviction que l'exercice consistant à juger les enfants est d'une rare complexité.
Déjà perturbés par l'épreuve de l'adolescence, ces jeunes sont souvent fragilisés par un milieu social défavorisé, une scolarité chaotique, auxquels viennent parfois s'ajouter des carences familiales. Un jour, ils franchissent le pas de la délinquance, parfois même de la criminalité. Loin des clichés et des idées reçues sur la permissivité des parents et le laxisme supposés de la justice, nous avons voulu comprendre comment fonctionne la justice des mineurs, qu'une ordonnance de 1945 a organisée sur deux fondements essentiels : la primauté de l'action éducative et la notion de l'être en devenir.
D'ordinaire, les audiences de cabinet (dans le bureau du juge) ou devant le tribunal pour enfants se déroulent à huis clos. Une mesure nécessaire, destinée à les protéger. Non qu'il faille les excuser. Mais parce qu'en dépit des actes parfois graves qu'ils ont posés, ils sont et demeurent des enfants, au regard de la loi.
Nous avons été autorisés à pénétrer dans l'enceinte du tribunal pour enfants d'Orléans, où se croisent beaucoup d'adolescents paumés, de parents éprouvés, d'éducateurs et de magistrats nullement résignés. Nous avons pu constater que les actes de délinquance restent rarement impunis et qu'aux mesures éducatives succède souvent une sanction pénale qui peut aller jusqu'à de la prison ferme. Nous avons également acquis l'intime conviction que l'exercice consistant à juger les enfants est d'une rare complexité.
« Il risque la prison aujourd'hui »
À l'image de ce garçon de 17 ans, dont nous avons suivi le procès, bon nombre de mineurs délinquants ont une famille déchirée, voire inexistante. Itinéraire délinquant d'un gamin paumé qui joue les durs.
Moussah (1) a presque 17 ans, mais sa carrure étoffée lui en fait paraître 20. Ce 6 décembre, il est convoqué devant le tribunal pour enfants afin de répondre d'actes de violences. Quatre affaires le concernent.
L'adolescent s'avance nonchalamment à la barre. Au fond de l'étroite salle d'audience, sa mère, sa grand-mère et un oncle occupent timidement quelques chaises au milieu des parties civiles.
La présidente, Marie-Béatrice Thiercelin, évoque les faits du premier dossier. Le 15 octobre 2009, dans un collège de l'agglomération orléanaise, Moussah a violemment frappé au cou une élève qui, dit-il, l'avait insulté. Prise de vomissements et d'étourdissements, la victime a manqué le collège pendant dix jours et a dû supporter une minerve durant deux mois.
Invité à s'expliquer, Moussah parle d'« une gifle », avant de reconnaître avoir porté « un coup fort ». D'une voix posée, mais déterminée, la présidente lui fait observer que « dix jours, c'est énorme. Surtout pour des mots. Ça n'a aucun sens ».
« Il n'y a rien de facile devant un tribunal ! »
« Il y a des mots qui peuvent blesser », rétorque le jeune prévenu. « Doit-on y répondre par des gestes ? », l'interpelle la magistrate. Moussah réfléchit un instant. « Non. Il faut essayer de calmer les choses ; aller voir un adulte pour régler le problème », explique-t-il posément, avant d'émettre des regrets.
Dans la seconde affaire, Moussah est poursuivi pour avoir, avec un complice, commis plusieurs vols avec violence. À commencer par celui d'un lecteur MP3 au jeune passager d'un bus. « Il faisait pression sur son ami en adoptant une attitude menaçante », rapporte la victime. « Je n'étais pas menaçant. Quelle attitude ? C'est facile à dire ! », s'énerve soudain le prévenu. « Il n'y a rien de facile devant un tribunal ! », le reprend fermement la présidente.
« Vous êtes en train de gâcher votre avenir »
Quelques jours plus tard, il s'emparait des baskets d'un gamin de 14 ans sur un terrain de sport. Les raisons de ce passage à l'acte ? Moussah dit ne pas les connaître. « Tout ça n'a pas de sens, je veux des explications », le presse la magistrate.
Les explications, il faut les chercher, comme dans la plupart des affaires impliquant des enfants, dans les effets dévastateurs d'une cassure familiale, à laquelle se surajoute, bien souvent, une déscolarisation, alors même que la transformation qu'opère le passage au stade adulte constitue déjà une épreuve. « L'adolescence est une période de turbulences. Le corps change. Le passage à l'acte, dans cette période de mutation, est un mode d'expression. Il faut en avoir conscience », recommande Marie-Béatrice Thiercelin.
Moussah en est précisément là. Sous l'impressionnante carapace de ce garçon costaud qui joue les durs, se dissimule un gamin en souffrance. Il a perdu son père, voici dix ans, et rêve de retourner vivre auprès de sa mère, tandis que son beau-père le rejette et l'insulte. C'est ce fragile adolescent qui a dû, à regret, quitter le foyer familial. Depuis, il grandit de travers et exprime son mal de vivre en adoptant un comportement agressif et violent.
« Il est temps qu'il réfléchisse entre quatre murs »
Tandis que l'audience se poursuit et que la présidente instruit les autres affaires imputées à Moussah, se dessine le parcours d'un jeune homme que l'on craint sans issue. Il a été placé dans un foyer, mais soutient qu'il ne peut pas y concevoir un avenir. Depuis le mois d'août, il a fugué à vingt-six reprises. « Vous refusez toutes les aides. Vous commettez des actes en permanence, vous faites tout voler en éclats. Vous êtes en train de gâcher votre avenir », constate amèrement la présidente.
La maman se lève, exprime son impuissance. Moussah fond en larmes. « Il risque la prison aujourd'hui », prévient la magistrate. L'oncle intervient à son tour, dit qu'il veut bien accueillir son neveu, soutient qu'il fera preuve d'autorité. Mais cette solution arrive si tardivement.
Pour le procureur de la République, il n'existe plus guère d'alternative : « Il a un comportement de délinquant. Il ne respecte pas votre autorité ; il n'a pas réfléchi sur les faits. Il est temps de couper court à cette spirale. Il est temps qu'il réfléchisse entre quatre murs », martèle Dorothée Mercier, qui requiert dix mois de prison, dont quatre ferme. « L'emprisonnement ferme n'est pas la solution. Sa vie, au quotidien, c'est la violence. Il faut sortir de ce schéma », soutient l'avocate de Moussah.
Le délibéré s'étire. La sanction tombe. Cinq mois, dont trois ferme. Tandis que les policiers enferment les poignets du jeune homme dans des menottes, la présidente commente le jugement, évoque « une situation qui nous paraît grave parce qu'il n'y a pas de remise en cause ».
Moussah quitte la salle d'audience en silence. « Espérons que la prison l'aidera à réfléchir », soupire un magistrat.
(1) Le prénom a été modifié.
Double page d'enquête à lire dans La Rep' du 29 décembre
Philippe Renaud