Laurent MUCCHIELLI : Parti socialiste et Sécurité
Publié le 19 Décembre 2010
Parti socialiste : de belles avancées et encore un blocage sur les questions de sécurité
Laurent Mucchielli
Le « Pacte national de protection et de sécurité publique » rendu public par le Parti socialiste le 17 novembre dernier n’a pas été remarqué autant qu’il le mérite, probablement en raison de la « guerre des chefs » qui continue logiquement de ternir l’image du PS. Rien ne dit du reste que ce texte entrera dans l’histoire tant cette querelle des égos menace à tout moment de ruiner les efforts de réflexion collective antérieurs et de déterminer les responsabilités des hommes et des femmes politiques en fonction de leurs allégeances plutôt que de leurs compétences.
Et pourtant, ce texte constitue une avancée indéniable et importante dans la réflexion interne à ce parti. Signalons que cette avancée est liée en partie à la personne de Jean-Jacques Urvoas. Cet universitaire, élu député dans la 1ère circonscription du Finistère en 2007, est aussi secrétaire national chargé de la sécurité au PS depuis mai 2009. Moins « médiatique » que la plupart des autres responsables socialistes intervenant régulièrement sur les questions de sécurité, J.-J. Urvoas est un homme politique qui n’a pas cessé d’être un universitaire. Il s’informe auprès des chercheurs, il travaille et connaît ses dossiers, il a le souci du détail, il veut objectiver, il évite de parler de ce qu’il ne connaît pas, il a le sens de la mesure. Les nombreuses notes qu’il publie pour les fondations Terra Nova et Jean Jaurès le montrent : sur les questions pénales comme sur les problèmes de sociologie électorale, l’analyse est toujours très documentée. Enfin, c’est un homme droit qui ne donne pas l’impression de travailler avant tout pour sa petite gloire personnelle, comme le font tant d’autres à gauche comme à droite. En témoigne aussi sa position sur le non-cumul des mandats (qu’il s’est appliqué à lui-même), tout comme les commentaires sans concession qu’il publie régulièrement sur son blog général ou sur celui accueilli par Libération et consacré au récit de sa vie de parlementaire. Ceci est rare et méritait donc d’être dit.
Reste à présent à examiner le contenu de ce « Pacte national de protection et de sécurité publique », qui est révélateur à la fois de fortes avancées et de la persistance de blocages dans les grandes lignes intellectuelles et politiques.
En finir (enfin) avec la rhétorique droitière de « l’excuse »…
Ce texte comporte d’abord un préambule qui énonce que cette politique reposera sur quatre principes. Le premier consiste à reconnaître que c’est toute la société qui créé ou non de la sécurité, et qu’ainsi « la violence de notre société est la première cause de l’insécurité. […] Lutter contre l’insécurité, c’est donc d’abord bâtir une société qui crée de la sécurité ». Voilà une première avancée majeure en comparaison avec un PS qui s’était auto-bâillonné depuis 1998, lorsque Lionel Jospin avait voulu « jouer les durs » et avait repris à son compte l’interdit de penser les problèmes sociaux sous peine de propager la « culture de l’excuse » chère à la rhétorique de droite. Au contraire, il est affirmé donc ici que la violence procède de la société globale (on évoque notamment son « chômage de masse », ses « inégalités », sa « dureté de ces relations de travail », sa « ghettoïsation », son « échec scolaire », sa « dévalorisation des institutions »), et non d’une poignée de méchants délinquants qui auraient choisi de l’être et qu’il suffirait d’éliminer pour tout aille de nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce tournant intellectuel et politique est fondamental. Il en découle du reste que la sécurité n’est pas seulement l’affaire des institutions régaliennes, mais aussi des élus locaux et de tous les citoyens que le texte prétend associer davantage aux décisions locales en la matière.
La suite est plus pragmatique mais non moins importante. Le second principe est au fond celui de la dissuasion : les socialistes veulent « une présence quotidienne et pérenne des forces de la sécurité et de la justice ». Policiers et gendarmes ne sont quasiment plus sur le terrain, dans la rue, les socialistes veulent les y remettre et leur en donner les moyens dans « l’esprit de la police de proximité » (que la gendarmerie a toujours été, ajouterons-nous). Et ceci est à mettre en parallèle avec le contenu de la proposition n° 7 : « Nous ne croyons pas à la solution miracle de la vidéosurveillance. Nous utilisons la vidéo quand elle est utile, dans les endroits clos ou pour aider à résoudre des problèmes ponctuels comme des trafics ». Voilà, là aussi, une avancée considérable dans un parti où régnait jusqu’à présent, sur cette question, un conformisme voire une soumission étonnante face aux discours du gouvernement actuel ainsi qu’une certaine surdité face aux travaux scientifiques remettant en question l’efficacité et le coût de cette technologie.
Toujours au chapitre du pragmatisme, à côté d’une « modernisation » de la police et de la justice qui est appelée de ses vœux à gauche comme à droite, le texte du PS évoque « une capacité formalisée de médiation » conférée aux policiers et aux gendarmes qui leur redonnerait un pouvoir de discernement aujourd’hui en voie de disparition sous la pression d’une politique du chiffre que le texte entend remplacer par une politique du résultat, ce dernier devant être mesuré à l’aune « du service rendu à la population ». Ensuite, les socialistes promettent de donner réellement aux maires « les moyens de coordonner la politique territoriale de prévention » par le biais d’une « nouvelle génération de contrats locaux de protection et de tranquillité publique » devant devenir « de véritables lieux de codécisions » associant les « associations de prévention » mais aussi l’ensemble des citoyens par le biais des conseils de quartier et d’un droit de pétition (ce dernier point comportant cependant un risque de dérive populiste manifestement insuffisamment réfléchi).
Enfin, la réponse judiciaire à la délinquance est présentée également comme devant être « dissuasive », avec pour cela la promesse d’un élargissement de l’éventail des sanctions judiciaires afin que « la sanction [soit] immédiate, systématique et proportionnée », notamment un développement des « travaux d’intérêt général » et la création de « travaux d’intérêt éducatif » dans les établissements scolaires. Et c’est sans doute sur ces thèmes que résident encore quelques reliquats d’une posture répressive que le PS hésite probablement à abandonner de peur, encore et toujours, d’être accusé de « laxisme » par la droite. C’est là que le PS doit faire encore un effort pour s’émanciper de l’idéologie de la « tolérance zéro » et de la posture répressive qui en découle fatalement dans le contexte français.
… mais (hélas) pas avec la posture répressive et l’horizon de la « tolérance zéro »
Si la plupart des principes généraux qui structurent ce texte du PS sont donc fort intéressants, reste que leur mise en application concrète (dans les 22 propositions) trahit à de nombreuses reprises une posture répressive – parfois même un petit côté « père fouettard » – à la fois regrettable et révélatrice d’un blocage politique persistant.
Ainsi, si les rédacteurs du texte ont compris l’importance de l’échec scolaire et de « l’exclusion scolaire », les mesures concrètes annoncées (« internats pédagogiques », « cellules de veille éducative susceptibles d’intervenir par exemple dès que des troubles du comportement sont repérés chez de jeunes enfants ou que des cas chroniques d’absentéisme scolaire sont signalés ») visent davantage à contrôler et prendre en charge les conséquences de ces échecs et exclusions qu’à les prévenir en amont. De même, s’il est pour le moins ambitieux d’annoncer qu’« il faut mettre fin à la ghettoïsation de notre pays », on regrette l’importance donnée ensuite au « développement de la prévention situationnelle des violences urbaines en matière d’urbanisme et de réglementation dans les établissements recevant du public », le tout en annonçant le « renforcement des prérogatives des préfets dans ces domaines ». De manière plus générale, dans un texte qui met l’accent sur la protection et la tranquillité, il est tout de même surprenant de voir tant de mesures et tant de phrases répétant les mots « sanction », « rapidité », « immédiateté », « systématicité », qui sont les mots de l’idéologie de la tolérance zéro. N’est-ce qu’une question de mot ? Pour certains socialistes peut-être, mais pour d’autres certainement pas. Comment expliquer, du reste, ce passage de la tribune du Monde que la première secrétaire du PS, Martine Aubry, a publié le même jour pour présenter la synthèse de cette réflexion du PS ? Il est dit ceci : « chaque grand bassin de vie verra la construction d'un centre de discipline et de réinsertion destiné aux jeunes délinquants multirécidivistes. La formation y sera strictement obligatoire et à la sortie de ces centres, un suivi éducatif et social sera poursuivi avec rigueur ». Et le passage est précédé d'allusions à « l'impunité » dont bénéficieraient beaucoup de mineurs délinquants.
Nous partageons sur ce point la critique de Jean-Pierre Rosenczveig. Les socialistes ignorent-ils que, après vingt ans d'injonctions politiques en ce sens, la justice des mineurs est celle qui répond aujourd'hui le plus en comparaison avec d'autres domaines ? Par ailleurs, il existe déjà divers foyers éducatifs en milieu ouvert, des centres éducatifs renforcés, des centres éducatifs fermés et des prisons pour mineurs. On voudrait surtout les voir évaluer scientifiquement avant de parler de quoi que ce soit d'autre. Dès lors que vient faire ce « centre de discipline et de réinsertion » dans le dispositif ? S'agit-il de la reprise de l'idée de Ségolène Royal, l'« encadrement militaire » en moins ? Quoi qu’il en soit, à travers ce genre de développement, la direction du PS opère une série de glissements : des incivilités à la délinquance puis au « multirécidivisme », ne laissant apercevoir au final qu'une solution en terme de contention et en dramatisant au passage les problèmes de délinquance juvénile (la grande majorité des jeunes commettant une infraction n'ont pas ce profil de « multirécidivistes »). A l’inverse, la majorité des problèmes sont des petits problèmes, d’incivilités (type « hall d’immeuble ») et de petite délinquance. Et c’est le plus souvent l’absence de réponse locale à ces petits problèmes récurrents qui exaspère une partie de nos concitoyens. Or, ici, la réponse ne pourra jamais être fondamentalement policière et judiciaire. C’est là, au contraire, que l’on attendrait un effort de réflexion, à partir notamment des expériences développées par des « médiateurs sociaux » et des « correspondants de nuit » dans de nombreuses villes. N’est-il pas très révélateur que, dans ces 22 propositions, le mot de « médiation » ne soit systématiquement employé que pour parler des policiers et des gendarmes ?
Cerises sur le gâteau
Voici donc de réelles avancées, ainsi qu’un problème de posture globale persistant qui méritera une constante vigilance. Ne boudons pas notre plaisir, cependant, à constater ces avancées et à relever encore ces deux propositions finales du texte. La première de « développer fortement l’action publique à l’encontre de toutes les formes de délinquance financière, en dotant les services de police judiciaire et de justice pénale des moyens nécessaires ». Car là est la véritable impunité. La seconde de modifier l’évaluation des résultats de l’action policière en partant du « service rendu à la population (efficacité, rapidité et dialogue) » et de « transformer l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) en une autorité administrative indépendante », au lieu d’une structure demeurant intimement liée au ministère de l’Intérieur et dont le président doit ses positions au chef de l’Etat lui-même...
source : Laurent Mucchielli