Nice, ville sous haute surveillance
Publié le 8 Février 2011
C’est une ville dont les moindres coins et recoins sont filmés 24 heures sur 24. Avec 624 caméras, Nice est devenue la ville la plus "vidéo surveillée" de France. Il y a désormais dans la préfecture des Alpes-Maritimes une caméra pour 600 habitants contre une caméra pour 2.000 habitants à Paris.
Pour le gouvernement, la sécurité passe désormais par l’installation d’un réseau de vidéosurveillance. L’Etat en a fait l’une de ses priorités, le 20 janvier dernier, lors de l’adoption de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi). Sous l’impulsion de son maire UMP, Christian Estrosi, Nice est ainsi devenue une sorte de laboratoire de la politique sécuritaire du gouvernement.
C’est une salle de 14 écrans au troisième étage d’un bâtiment du centre de Nice. Le CSU (centre de supervision urbain) centralise tous les enregistrements effectués par les 624 caméras de surveillance de la ville. Centre-ville, avenue Jacques-Médecin, quartier de l’Ariane... le moindre coin de rue est scruté, surveillé par les agents du CSU. “On sait de plus en plus à Nice que seuls les voyous ont à craindre pour leur liberté et pas les honnêtes citoyens et plus ça se saura et plus on prendra de précautions avant de nuire à l’intégrité physique de quelqu’un ou aux biens d’autrui”, se félicite le maire de Nice, Christian Estrosi. “Ceux qui ont dû passer aux aveux à cause des images qu’ils n’ont pas pu nier sont nos meilleurs ambassadeurs en terme de communication parce qu’ils vont dire dans tous les quartiers : attention dans cette ville, on est filmé et à tous les coups on se fait prendre.”
Derrière leur bureau,
plusieurs agents observent les images. Ils peuvent zoomer, faire pivoter
les caméras sur 360 degrés. Chaque caméra balaie un champ d’environ 150 mètres. “A l’heure actuelle, il y a un tel
maillage que l’on arrive à suivre sur plusieurs kilomètres les auteurs d’infraction. Plusieurs caméras prennent le relais, les agents connaissent les réseaux de caméras et on suit les individus
comme ça. La dernière fois, on a interpellé une personne qui avait volé une sacoche 12 minutes après les faits, à plusieurs kilomètres du lieu de l’infraction. Sans le support des caméras, on
n’aurait pas pu retrouver ces individus” explique Sylviane
Casanova, la directrice de la sécurité et de la protection à la ville de Nice.
La mise en place de ce programme a coûté 7,6 millions d’euros, financés à la fois par la ville, l’Etat, la communauté urbaine et le conseil général des Alpes-Maritimes. En parallèle, les effectifs de la police municipale vont continuer à être étoffés. Il y a aujourd’hui 355 policiers municipaux, la ville en comptera 380 à la fin de l’année, soit 100 de plus qu’en 2008.
Nice, la ville la plus vidéo surveillée de France. Benoît Kandel, premier adjoint au maire de Nice. (3'29") | |
Bilan mitigé
Selon un rapport de l’inspection générale de l’administration, les agressions progressent deux fois moins vite dans les communes équipées de caméras.
A Nice, l’année dernière, la petite délinquance a baissé de 1,34%. Le dispositif a permis d’interpeller des personnes en flagrant délit, pour des vols à la tire, des rixes, du trafic de drogue ou des vols de véhicules. En deux ans, le nombre d’interpellations réalisées par la police municipale a aussi doublé, passant de 900 à 1850 en 2010. En revanche, les vols avec violence continuent à progresser, malgré la présence des caméras. Augmentation de 20% avec 2932 vols avec violence en 2010 contre 2437 en 2009.
Pour les actes les plus graves, le réseau de vidéo surveillance est loin d’être dissuasif. Le procureur de la république de Nice, Eric de Montgolfier, estime que les caméras sont peu efficaces pour protéger les personnes. “Quand vous êtes victime d’une agression, s’il y a une caméra et que cela ne vous a pas empêché d’être victime, est-ce que vous serez consolé qu’on vous dise « il y avait une caméra, on va trouver l’auteur, » la victime restera victime... Un système qui empêcherait les gens d’être victimes serait un bon système, mais un système qui ne permet que de trouver les auteurs, c’est un système de demi-échec, parce que l’infraction a été commise”.
La vidéo surveillance à Nice : un bilan mitigé. Patrick Allemand, premier vice-président de la région PACA. Chef de file PS de l’opposition à Nice. (2'20") | |
Officiellement, les Niçois sont satisfaits à plus de 80% de ce dispositif. Ce sont les chiffres communiqués par la mairie de la ville. Mais en réalité, quand on interroge les gens, dans la rue, dans le quartier sensible de l’Ariane par exemple, la perception est différente. “Il y a beaucoup d’angles morts et la petite délinquance en profite. On arrive toujours à trouver un endroit qui n’est pas couvert par le faisceau des caméras. C’est un échec complet alors que si on avait comme par le passé des policiers qui font des rondes, les gens se sentiraient plus en sécurité et il y aurait moins d’incivilités dans le quartier. Cela n’a rien changé, on a eu des voitures qui ont flambé, il y a eu des agressions, en ville il y a eu aussi des gros braquages sans que les caméras permettent de retrouver les voleurs. Pour l’efficacité de la recherche policière, j’ai des doutes, en revanche, au niveau du coût on va s’en rendre compte, parce que tout cela revient horriblement cher”estime Christian Masson, le président de l’association de quartier “Un cœur pour l’Ariane”.
La police nationale s’interroge elle aussi sur la multiplication des caméras dans la ville. Les agents ne doutent pas de leur efficacité mais ils craignent de voir, à terme, les caméras se substituer à la présence policière. “Nos effectifs sont en baisse permanente parce que l’Etat a mis en place le non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite, donc automatiquement nos effectifs baissent et on voit l’apparition sur Nice de plus en plus de caméras. Est-ce que les caméras vont finir par remplacer les policiers ?” s’interroge Frédéric Guérin, le secrétaire départemental adjoint du syndicat Unité police SGP-FO des Alpes-Maritimes.
"Les yeux des policiers"
Un système de géo localisation permet aussi de visualiser en temps réel la position de chaque patrouille de police municipale. En cas de besoin, les équipes les plus proches du lieu sont envoyées sur place.
Stéphane, policier municipal depuis 24 ans, est lui ravi de ce nouveau dispositif. “Les collègues qui sont derrière les écrans nous avertissent de la configuration du terrain quand ils nous envoient sur place. Avant, on y allait à l’aveuglette mais là on sait exactement combien de personnes sont présentes, s’il y a des armes, s’il y a des gens qui se cachent. Donc cela nous permet de préparer l’intervention avant d’arriver et de savoir comment on va gérer la situation. Les caméras, ce sont nos yeux”.
Les images enregistrées par les caméras sont conservées 10 jours sur ordinateur avant d’être effacées. La ville de Nice prévoit d’installer une centaine de nouvelles caméras d’ici la fin de l’année.