Réforme pénale : Valls et Taubira s'écharpent par lettres interposées

Publié le 13 Août 2013

VALLS : UNE RESURGENCE SECURITAIRE ?

 

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Manuel Valls a confié dans une lettre à François Hollande ses réserves sur le projet de loi de réforme pénale menée par Christiane Taubira. Une complainte qui a du mal à passer pour la ministre de la Justice.

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Mélanie Godey 
Le 13/08/2013 à 13:49

La tension entre le ministre de l’Intérieur et la garde des Sceaux est montée d’un cran. Le 25 juillet, Manuel Valls a envoyé à François Hollande une missive, que Le Monde s’est procurée, pour lui signaler ses "désaccords" sur le projet de réforme pénale menée par sa collègue Christiane Taubira. Une complainte mal vécue par cette dernière, qui a découvert la lettre pendant la polémique sur les détenus relâchés à Chartres, selon le quotidien.


"Clarifier nos orientations politiques"

Les divergences entre Valls et Taubira sur le projet de réforme pénale ne datent pas d’hier. Alors que la partie de bras de fer entre les deux ministres a commencé depuis quelques semaines maintenant, Manuel Valls exprime dans cette lettre son opposition au projet, et demande ainsi au chef de l'Etat d'arbitrer ces désaccords.

"J'attire votre attention sur les désaccords mis en lumière par le travail interministériel qui s'est engagé récemment autour du projet de réforme pénale présenté par le ministère de laJustice", écrit-il. 

"Cependant, tant pour des raisons de méthode que de fond, l'écart entre nos analysesdemeure trop important et appelle une clarification de nos orientations politiques", réclame ainsi le ministre de l'Intérieur à François Hollande. "Je souhaite à ce stade que nous définissions collectivement les principes directeurs de cette réforme", poursuit-il.

 

"Etonnée"

Ecrire au président de la République sur son projet de réforme sans même l'en avoir tenue informée? La pilule a du mal à passer pour Christiane Taubira. La ministre de la Justice a donc pris à son tour la plume pour dénoncer entre autres les méthodes de son collègue. 

"Je ne peux que m'étonner qu'un tel document ne m'ait pas été communiqué, d'autant qu'il comporte des propositions de réforme du droit de la peine, domaine qui ne ressort en aucune façon aux compétences du ministre de l'Intérieur", s'offusque la ministre dans son droit de réponse à François Hollande.

Selon le quotidien, la garde des Sceaux "a téléphoné à Manuel Valls le 29 juillet et il ne lui en a pas soufflé mot. Puis elle l'a rencontré deux jours plus tard, le 31, au comité interministériel de la coopération internationale et du développement, avant d'aller boire un verre le soir à Matignon". 

A aucun moment, "le ministre de l'Intérieur n'a saisi ces deux occasions pour m'informer de la teneur de cette lettre", écrit-elle.


Une réforme avant les municipales?

Le rapport de force entre les deux ministres ne risque pas de faire avancer un projet de loi qui a déjà pris beaucoup de retard. En effet, celui-ci devait être présenté début juillet en Conseil des ministres et a finalement été repoussé à septembre. Avec les municipales de 2014, la réforme tant attendue pourrait ne pas voir le jour avant un bon moment.


[www.bfmtv.com]


 
Réponse de TAUBIRA (selon le Monde) : 

La réponse de Christiane Taubira


La ministre de la justice a répondu que "le projet ne repose nullement, comme l'a soutenu le ministre de l'intérieur, sur un socle de légitimité fragile mais bien sur un travail scientifique et reconnu (parce que interdisciplinaire et intégrant les recherches et les évaluations menées à l'étranger)".


 Elle estime, au contraire de Manuel Valls, que "le projet devrait être bien accueilli par les syndicats ou associations professionnelles de magistrats" et indique qu'elle a elle-même "reçu tous les syndicats de policiers et, à l'exception de deux d'entre eux", elle a "constaté une réceptivité réelle". [note du SDPM : lesquels ? et aucun de la Police Municipale qui ne doit pas faire manifestement partie de la chaîne pénale]


La ministre s'attarde ensuite sur les chiffres données par le ministre de l'intérieur, qu'elle conteste vivement : "Sur les profils de délinquants qui imposeraient systématiquement une réponse carcérale ferme : le ministre de l'intérieur a notamment fait valoir que la délinquance demeurait préoccupante et que seuls 25% des personnes poursuivables comparaissaient devant les tribunaux correctionnels, et qu'ils étaient très majoritairement des multiréitérants.


Les chiffres qui ont été fournis par le ministère de l'intérieur sont erronés et leur présentation est tendancieuse. Le taux de poursuites (pourcentage des affaires poursuivables, c'est-à-dire dans lesquelles l'infraction est constituée et l'auteur identifié, qui sont renvoyés devant une juridiction) se distingue du taux de réponse pénale (pourcentage des affaires poursuivables qui donnent lieu à une réponse pénale qui peut être soit un renvoi devant une juridiction, soit une alternative aux poursuites comme un rappel à la loi ou un stage de citoyenneté, sans inscription au casier judiciaire).


Le taux de poursuite s'élevait en 2012 à 51%. Il n'y a aucune raison objective d'exclure le contentieux routier de ce calcul ; mais même en excluant le contentieux routier, le taux de poursuite était alors de 41%. Dans la mesure où c'est essentiellement le contentieux routier qui donne lieu à des ordonnances pénales (décisions judiciaires prises sans audience, sur dossier), ces poursuites ont lieu quasi-exclusivement devant le tribunal correctionnel.


Le chiffre de 25% dont l'Intérieur fait état sans indiquer sa source ne correspond d'aucune façon aux statistiques du ministère de la justice issue de l'application Cassiopée [Chaine applicative supportant le système d'information oriente procédure pénale et enfants, le système de gestion des tribunaux].


Quant à l'étude de l'ONDRP, publiée dans le bulletin mensuel de l'observatoire de juin 2013, et dont le ministère de l'intérieur a donné les conclusions en réunion interministérielle, force est de constater que son exploitation est biaisée.


Elle porte en effet sur un panel de 1 508 personnes dont 100% ont été mises en cause pour 5 infractions ou plus, entre 2009 et 2010, et sur le territoire de la préfecture de police de Paris ; les deux tiers des délits reprochés sont des atteintes aux biens. Sur les 1 508 mis en cause, 53% sont mineurs, et 30% de ces mineurs sont étrangers dont la moitié de nationalité "roumaine ou d'un pays d'Europe balkanique". Sur cet échantillon, il y a ainsi 120 filles mineures originaires des Balkans, qui compte tenu de leur appartenance à des réseaux de vol organisé sont mises en cause à de multiples reprises et 486 mise en cause avaient 15 ans ou moins de 15 ans.


Cette étude n'a aucune portée générale puisqu'elle repose sur un échantillon de personnes sélectionnées justement parce qu'elles sont mises en cause dans plusieurs affaires, et en tirer quelque conclusion que ce soit sur le profil des personnes qui comparaissent en France devant les tribunaux correctionnels ne peut avoir aucune valeur statistique (...)" En conclusion, "il m'apparaît enfin important de souligner, écrit Christiane Taubira, qu'à la suite des réunions interministérielles engagées, des modifications significatives ont été introduites, y compris sur des dispositions importantes qui avaient fait l'objet d'un consensus par ailleurs, comme les sorties encadrées [aux 2/3 de la peine].


Nous sommes au point au-delà duquel on peut aller sans dénaturer la réforme, sauf à se priver des outils nécessaires pour lutter contre la récidive etrenoncer à une réforme de rupture, telle qu'attendue et telle qu'annoncée pendant la campagne présidentielle."

Rédigé par SDPM

Publié dans #politique et sécurité

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