Sécurité : l'échec de Sarkozy

Publié le 8 Juin 2010

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Depuis huit ans, Nicolas Sarkozy répète aux Français qu'il est le seul à vouloir, et à pouvoir, éradiquer la délinquance, présentée comme le fléau n°1 de notre pays.

 Aujourd'hui, alors qu'il a été cinq ans ministre de l'intérieur, puis trois ans Président de la République et superministre de l'intérieur, la réalité le rattrape et son discours est condamné à bégayer. Malgré toutes ses proclamations solennelles et martiales, les Français constatent, sur la durée, une dégradation constante de leur situation et un véritable abandon du service public de la sécurité, particulièrement dans les banlieues et les quartiers en difficulté.

Cet échec du «premier flic de France», c'est celui de toutes les chimères qui ont nourri son discours en matière de sécurité. Cet échec, c'est la sanction d'une politique et d'une stratégie fondées sur des idées simplistes... mais fausses !

Nicolas Sarkozy a d'abord affirmé que la force était au cœur d'une stratégie gagnante, qu'elle devait être visible et qu'il ne fallait pas hésiter à l'utiliser. Symboliquement, sa première mesure a été, en supprimant la police de proximité, d'ôter du terrain les policiers qui étaient les plus proches de la population, donc les plus attentifs à leurs préoccupations et sans doute les mieux à même de recueillir les renseignements nécessaires au travail de police.

Il a préféré une stratégie plus médiatique, celle des opérations coup de poing : «projection de forces», quadrillage et maintenant, comme il le demande lui-même, le «ratissage des banlieues» par des forces spécialisées, de plus en plus militarisées, qui ne font illusion que l'espace d'une opération. Le nouveau préfet de Seine Saint-Denis n'hésite plus, lui, à parler de «guerre».

En fait, Nicolas Sarkozy a confondu politique de sécurité et propagande sécuritaire. Il a privilégié l'émotion et la réaction à l'événement, les formules martiales, la stigmatisation des jeunes, des minorités visibles et des étrangers. Sa conception de la société est outrageusement dichotomique, partagée entre d'un côté des victimes et de l'autre des délinquants. Dès lors, le policier n'est plus là que pour contrôler et interpeller, le magistrat pour condamner et emprisonner. Les préfets, eux-mêmes, sont recrutés parmi les policiers proches du pouvoir...

Cette politique s'est accompagnée d'une véritable frénésie législative pour permettre à Nicolas Sarkozy d'afficher sa «fermeté». Chaque fait divers médiatisé a entraîné une réponse législative, souvent dans l'urgence, et la création de nouvelles infractions ou l'aggravation des sanctions existantes. Cet empilement de textes tient lieu de politique pénale et leur mise en œuvre n'a jamais fait l'objet d'une évaluation sérieuse.

Nicolas Sarkozy a choisi une sorte de libéralisme sécuritaire, imposant le management par le résultat et la «politique du chiffre» pour «réveiller» les policiers et dynamiser leur action au quotidien. Dès lors, au fil des mois, policiers et gendarmes, du haut en bas de l'échelle, ont reçu des instructions pour «ajuster» leurs pratiques quotidiennes et faire baisser ou augmenter telle ou telle statistique, pour alimenter ou illustrer les initiatives du gouvernement en matière de sécurité.

Mais les critères d'évaluation de la «performance» policière ont abouti à des résultats aberrants comme l'explosion du nombre des gardes à vue inutiles et injustifiées. Plutôt que de concentrer leurs efforts sur la lutte contre les violences aux personnes, la corruption et l'économie souterraine, les policiers ont été incités à interpeller les consommateurs de cannabis, les prostituées et les étrangers en situation irrégulière.

Avec le projet de LOPPSI 2, Nicolas Sarkozy veut maintenant nous faire croire que le recours massif aux nouvelles technologies renforcera l'efficacité d'une politique qui a déjà fait faillite.

Le discours officiel nous abreuve de commentaires élogieux sur les armes «non létales», le contrôle du Web, les dispositifs de vidéosurveillance et la multiplication des fichiers. Mais aucune réflexion n'est engagée sur la doctrine d'emploi de ces outils nouveaux, sur leur efficacité et sur les risques qu'ils font courir aux libertés individuelles.

Le gouvernement impose aux collectivités locales le développement exponentiel de la vidéosurveillance, rebaptisée «vidéoprotection», alors que les études menées au Royaume-Uni montrent qu'elle ne peut jouer un rôle dans la prévention de la délinquance et du terrorisme que dans des conditions très particulières, qui devraient amener, au contraire, à en limiter l'usage. Le ministre de l'intérieur multiplie les fichiers qui permettent de collecter des informations sur des millions d'individus, sans les mesures nécessaires pour lutter contre la faiblesse du régime de protection des données à caractère personnel et les multiples erreurs dont ces fichiers sont affectés.

 

Mais tous ces dispositifs sont destinés, sans que cela soit dit, à masquer les diminutions d'effectifs programmées et leur mise en œuvre s'accompagne d'un transfert de charges et de responsabilité vers les collectivités locales, les polices municipales et les sociétés de sécurité privées.

 

Malgré tous les efforts déployés par Nicolas Sarkozy depuis huit ans, le résultat est pitoyable et inquiétant: forces de police vécues comme des forces d'occupation par les populations qu'elles sont censées protéger, maintien de zones de non droit et de l'économie souterraine, développement de tous les trafics qui «contaminent» parfois des populations fragilisées par la crise et augmentation des violences aux personnes.

 

L'échec de Nicolas Sarkozy nous inquiète: sa politique a pour conséquence un affaiblissement du lien social et un recul de l'espérance, notamment pour les populations des banlieues et des quartiers en difficulté, qui sont les premières victimes de la crise et de l'insécurité. Une rupture est nécessaire si nous voulons éviter une montée du communautarisme, de l'extrémisme religieux et une radicalisation de l'électorat lors des prochaines échéances électorales.

 

Une véritable politique de sécurité ne peut être que globale et prendre en compte les aspects économiques et sociaux. Elle doit assurer la prévention, la protection, la répression et la réinsertion. Elle appelle une révolution culturelle chez tous les acteurs de la sécurité, si l'on veut agir au plus près du terrain et des besoins des populations pour gagner en efficacité, si nous voulons que la population adhère à cette politique et que les policiers redeviennent des «gardiens de la paix».

 

Pour le Club «  Droits Justice et Sécurités »,

Thomas Clay, Christine Lazerges et Pascal Beauvais, Professeurs de Droit, Jean-Pierre Dintilhac, ancien Directeur général de la gendarmerie nationale et ancien Procureur de la République de Paris, Robert Finielz, Jean-Paul Jean et Gilbert Flam, Magistrats, Marie Burguburu, Jean-Pierre Mignard et Sabrina Goldman, Avocats, Christian Mouhanna et Pierre Piazza, chercheurs.

 

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Le Club « Droits, Justice et Sécurités » organise un Café «Justice et Sécurité » sur l'échec de la politique de sécurité de Nicolas Sarkozy et pour présenter ses propositions dans ce domaine : Café Chez Oscar, Mardi 15 juin 2010 de 18h30 à 20h30, 11-13 boulevard Beaumarchais, Paris 4ème, (M° Bastille)

 

source : www.mediapart.fr

Rédigé par SDPM

Publié dans #presse et sécurité

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