Un Ministre de la Fonction Publique contre la Fonction Publique ?
Publié le 6 Avril 2010
Il est des hommes politiques dont la réputation est usurpée. Georges Tron est de ceux-là. Son entrée au gouvernement a été saluée comme l’arrivée d’un villepiniste, sous-entendu d’un homme ayant « une certaine idée de la France » et attaché au service de la nation, ainsi qu’est supposé l’être Dominique de Villepin. En le nommant, Nicolas Sarkozy aurait donc fait l’effort de promouvoir un homme qui est à son opposé, ne cède pas au credo libéral et a une certaine tenue.
Sur ce dernier point, Georges Tron n’a rien à envier pourtant à Nicolas Sarkozy. En 1995, alors que la bataille fratricide était à son comble entre balladuriens et chiraquiens, le député de l’Essonne, pourtant balladurien lui aussi, avait balancé : « Il faudrait que Sarkozy cesse de considérer qu’il a une rente à vie sur les balladuriens […] Il ne connaît que deux catégories, les esclaves et les salauds. Il a tort, le garde-à-vous, c’est fini ! » Ce à quoi Sarko lui avait rétorqué : « Je savais que tu étais un imbécile. Maintenant je sais que tu es aussi méchant. » Le professeur Choron, fondateur d’Hara Kiri, journal « bête et méchant », doit rigoler dans sa tombe ; s’il avait vécu jusqu’à l’élection de Sarko, il aurait pu voir son journal remplacer avantageusement le Journal officiel…
A Draveil, la ville de l’Essonne dont Georges Tron est maire depuis 1995, la formule fuse dès qu’on évoque son nouveau destin ministériel : « Eh ben, pour les fonctionnaires, ça va pas être le pied ! », suivie d’un rire entendu qui doit faire allusion à quelque histoire locale réservée aux initiés.
Si « ça ne va pas être le pied », c’est que ce méchant con de Tron – c’est bien ce qu’a dit Sarko, non, avant de lui trouver les qualités d’un sous-ministre ? –, a, le 21 janvier 2009 – date propice pour couper des têtes –, cosigné une proposition de loi présentée par une flopée de députés UMP, parmi lesquels Olivier Dassault et Axel Poniatowski, qui ne sont pas connus pour leur amour immodérée de la fonction publique, et pour cause… Ce texte visait à instituer « la liberté de recrutement par les collectivités territoriales ». Avec toujours ces maîtres mots de la Sarkozye dès qu’il s’agit de casser l’existant : modernisation, simplification, adaptation. A quoi ? Au « marché » pardi !
Le texte, que ses signataires de l’UMP espéraient voir entrer en vigueur au 1er janvier 2010, prévoyait que « les personnels des administrations des régions, des départements, des communes, et de leurs établissements publics mentionnés à l’article 2 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires » seraient dorénavant « recrutés par contrat, à l’exception de ceux exerçant une mission de service public, qui restent soumis aux dispositions actuellement en vigueur ». En termes plus immédiatement compréhensibles : à de rares exceptions près – dont la liste n’était pas fournie… –, on n’embaucherait plus que des contractuels, et plus aucun fonctionnaire… De quoi offrir « aux collectivités concernées une souplesse de gestion des compétences de leurs personnels au plus près des besoins réels », selon la formule de faux cul retenue.
Les faux poulets de Draveil ont dû changer de nom
La Fédération professionnelle indépendante de la police (FPIP), dont une branche est spécialisée dans la défense des policiers municipaux, ne s’y était pas trompée, en diffusant en juin 2009 un tract (extrait ci-contre) dénonçant « la création du fonctionnaire jetable » et illustré par les logos de différentes sociétés spécialisées dans le travail temporaire, comme Manpower ou Adecco… Il était titré : « Vers la fin de la fonction publique », et affirmait que Draveil lui avait déjà servi de laboratoire. En effet.
En 1999, la police municipale de Draveil change de nom et devient Draveil Sécurité. Il ne s’agit pas d’une opération marketing. Simplement que la « police municipale » de Georges Tron… n’en est pas une et n’a donc pas le droit de conserver cet intitulé ! Les « policiers » ne peuvent plus se prétendre tels et ne sont plus que des « agents de sécurité de voie publique ». Ce sont des vigiles, des employés de gardiennage, salariés de Draveil Sécurité, rien d’autre.
Il se trouve qu’en avril 1999, la législation sur les polices municipales avait changé, et que la mairie de Draveil n’en avait tenu aucun compte. « Ses agents n’ont pas fait l’école ni passé le concours, certains viennent des services techniques municipaux. Ils portent la tenue sans en avoir le droit ! », s’était insurgé le Syndicat indépendant de la police municipale (SIPM), sans compter leur « recrutement hors du cadre légal », l’« encadrement assuré par des agents retraités issus d’autres corps », l’« absence de formation » et d’« évolution de carrière », etc. Les services de Tron avaient dénoncé une cabbale. Jusqu’à ce que le préfet tranche : c’est bien le SIPM qui avait raison…
Et avec le service municipal Draveil Sécurité, Georges Tron n’a pas forcément trouvé la bonne parade. Car les missions affectées à ses « agents » ne sont pas claires. A dessein ? La loi, elle – et ses textes d’applications – sont clairs : « Les agents de police municipale quel que soit leur grade ne peuvent être que des fonctionnaires territoriaux. La loi prohibe ainsi clairement le recrutement d’agents “supplétifs“ exerçant des missions de police municipale en dehors dudit cadre d’emploi. » A croire que ces précisions ont été rédigées juste pour Tron…
La proposition de loi déposée le 21 janvier 2009 pour liquider petit à petit la fonction publique territoriale, au fur et à mesure des nouveaux recrutements, est passée la trappe. Voilà plus d’un an qu’elle a été renvoyée, pour examen, à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mais maintenant que Tron est ministre, il peut déposer, non plus une proposition, mais un projet de loi. Qui sera bien plus facilement examiné. Surtout qu’avec la réforme territoriale qui devrait entrer en vigueur en 2014, il a un argument en or pour vendre à l’opinion « une amélioration des services rendus à un moindre coût pour les finances publiques et le contribuable ».
Ce n’est pas dans nos habitudes de donner des conseils de mobilisation et de grève aux fonctionnaires mais, sans vouloir les presser, faudrait se grouiller…
Bruno Larebière
Article extrait de Minute n° 2455 à paraître demain mercredi 7 avril.
source : http://fr.novopress.info