VIDÉO - Face à la mère de Priscilla, le silence de Taubira
Publié le 6 Septembre 2013
Sur France 2, confrontée à une victime, la ministre a perdu de sa superbe. Mais le cas de Priscilla met-il à mal son projet de réforme pénale ? Analyse.
Le Point.fr - Publié le 06/09/2013 à 17:32 - Modifié le 06/09/2013 à 18:13
Photo d'illustration - Sur le plateau de "Des paroles et des actes", la ministre de la Justice Christiane Taubira a été confrontée à la souffrance d'une victime. © Alain Jocard / AFP
Par MARC LEPLONGEON
Pour certains, confrontée à la douleur d'une victime, Christiane Taubira a choisi la dignité. Pour d'autres, l'esquive. "J'ai une règle : face aux victimes, je fais
silence. Là, je cherche mes mots", souffle la ministre sur le plateau de Des paroles et des actes. D'un rire
nerveux, la mère de Priscilla, une jeune fille très violemment agressée en août dernier, l'interrompt : "C'est trop facile !" Face à la souffrance d'une mère, Christiane Taubira est privée de son
arme favorite : son verbe.
À quelques mètres de son immeuble, le 7 août vers 22 heures, Priscilla avait été rouée de coups pendant de longues minutes, après avoir résisté à une
tentative de viol. L'agresseur présumé ? Sofiane, 26 ans, coupable de nombreux délits, notamment d'une agression sexuelle en 2009. Au moment des faits, il était en semi-liberté (il dort en prison
et travaille à l'extérieur) à la suite d'un dernier méfait : une conduite en état d'ivresse.
"Christiane Taubira est plus à l'aise pour parler des délinquants que des victimes", répète inlassablement Éric Ciotti, député UMP. Jeudi soir, la mère de Priscilla, cachée derrière un voile, les représentait toutes. Sur les réseaux sociaux, les critiques ont fusé : le procédé est "déloyal" et "populiste", pouvait-on lire. Un avis partagé par Christophe Régnard, président de l'Union syndicale des magistrats (USM) : "Je n'ai pas trouvé Christiane Taubira particulièrement brillante ce soir, lâche-t-il. Mais sur la forme de la confrontation, je trouve ça terrible. Que peut-on répondre à la souffrance d'une mère ?" Dominique Raimbourg, député PS et proche de la ministre, acquiesce : "Une telle confrontation est absolument ingérable."
Christiane Taubira responsable ?
Mais Béatrice Brugère, secrétaire adjointe de FO Magistrats, trouve que la ministre a failli : "Sa réponse à la victime était un peu légère. On peut
mettre ça sur le compte de l'émotion. Mais pour une fois elle était confrontée à la réalité du terrain. [...] Jusqu'à présent, Christiane Taubira était une icône intouchable. Ce soir, je l'ai
trouvée confuse, pas du tout technique." Reste qu'au-delà de la violence du procédé une question se pose : la confrontation entre la mère de Priscilla et Taubira était-elle pertinente ? En clair,
si le projet de contrainte pénale devait passer, y aurait-il davantage de Sofiane dans les rues ?
La contrainte pénale (mesure restrictive de liberté en milieu ouvert) concerne tous les délits passibles de 5 ans de prison maximum. Elle ne s'applique donc pas aux crimes. Un violeur ou un meurtrier sera puni d'une peine de prison et n'écopera jamais d'une peine au sein de la société, quoi qu'il advienne. Mais avant de commettre l'irréparable, la vie de Sofiane était faite de petits délits (vols, conduite en état d'ivresse...). Et ce sont ces mêmes infractions qui pourront, à l'avenir, être sanctionnées par une contrainte pénale. "La contrainte pénale ne sera efficace que pour les gens qui débutent leur parcours de délinquant. S'ils l'estiment nécessaire, les juges n'hésiteront pas à prononcer des peines de prison", explique Christophe Régnard. La contrainte pénale ne devrait donc, dans un premier temps, que se substituer aux sursis avec mise à l'épreuve (SME), pas aux peines de prison ferme.
Le contrôle des aménagements de peine
Le vrai problème, en ce qui concerne la douloureuse histoire de Priscilla, réside dans l'absence de contrôle de Sofiane. Ce dernier, raconte la mère de Priscilla, est de retour dans la prison en retard et ivre, sans que la question de la révocation de son sursis soit posée. "Il y a un problème quant à l'effectivité du contrôle des mesures d'aménagement de la peine, concède Dominique Raimbourg. Un homme en semi-liberté qui rentre ivre à la prison, ce n'est pas normal." "Il faut fluidifier les relations entre les juges, la police et les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP). Leurs rapports ont été brouillés par des dizaines de réformes successives", renchérit Christophe Régnard.
Là réside la clé de la réussite ou non de la réforme pénale de Christiane Taubira : "Si le contrôle des aménagements de peine n'est pas renforcé, sa réforme est une coquille vide", martèle la secrétaire de FO Magistrats. Selon la ministre, la contrainte pénale a l'immense avantage d'apporter une réponse immédiate à un délit, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, puisque plus de 80 000 peines ne sont pas exécutées dans l'année de leur prononcé. Pour assurer le suivi des condamnés, la ministre a obtenu la création en 2014 de 300 postes supplémentaires dans les services d'insertion et de probation. Cela représente 10 % du corps actuel, mais c'est notoirement insuffisant.
Qu'importe, Christiane Taubira veut y croire : "Ce qui compte pour moi [...], c'est d'être à la hauteur de ma responsabilité, d'être en capacité de répondre du travail que j'aurai accompli, des choix que j'aurai faits. Je préfère prendre mille millions de coups aujourd'hui, et dans deux ans, dans trois ans, démontrer que nous aurons fait baisser la récidive."
Regardez : Christiane Taubira confrontée à la mère de Priscilla