Vidéosurveillance : Claude Guéant fait son cinéma

Publié le 16 Mars 2011

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Le ministre de l’Intérieur a annoncé 45 000 caméras dans la rue d’ici la fin de l’année. MAM en pourtant annonçait 60 000 pour… 2009. Annoncés comme la solution face à l’insécurité, ce dispositif coûteux masque mal le recul de l'Etat dans ce domaine.

 

Tefy Andriamanana - Marianne | Mardi 15 Mars 2011 à 18:01

 

http://www.marianne2.fr/photo/art/default/931763-1104864.jpg?v=1300204870(Dessin : Louison)

 

Pour Nicolas Sarkozy, c’était LA solution contre la délinquance. La vidéosurveillance (ou vidéoprotection, c’est selon) était annoncée comme un remède miracle par l’Elysée. Il avait encore prônée cette solution en février dans « Paroles de Français ». Récemment, à l’Assemblée nationale, Claude Guéant a annoncé un objectif de 45 000 caméras de rue d’ici la fin de l’année. Il y en a 35 000 actuellement de ce type. A Orléans, en février, Nicolas Sarkozy parlait d’un objectif de 60 000 d’ici 2012. A Paris, ville socialiste, le nombre de ces caméras devrait bientôt passer à 1000. Sans compter les caméras dans les transports publics et dans les grands magasins par exemple. Mais, hormis les sociétés privées, personne n’y trouve son compte. Ni les élus, ni les victimes de la délinquance.

Car l’inefficacité de la vidéosurveillance a maintes fois été souligné. Y compris au Royaume-Uni, pays souvent cité en exemple. Et le dispositif est surtout compliqué à mettre en place. Pour preuve, l’objectif de 60 000 caméras annoncées pour 2010 par le chef de l’Etat avait déjà été promis pour… 2009 par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur en 2007. « C’était moins un objectif qu’un horizon », répond le ministère de l’Intérieur à Marianne2. Mais, pour le cabinet, « on ne peut pas dire que ce soit du retard ». Il en reste que lorsque le ministre annonce un tel chiffre, cela ne veut pas dire que 10 000 caméras vont effectivement être installées d’ici la fin de l’année. En effet, ces caméras urbaines sont sous la responsabilité des communes à travers des Centres de surveillance urbaine, en lien avec la police nationale. Les objectifs annoncés par la Place Beauvau sont donc dépendants de la bonne volonté des maires. Les promesses de Guéant n’engagent donc que lui.

« La gouvernance réelle de la vidéosurveillance appartient encore aux élus (…) Seul le Maire peut installer des caméras », rappelle Emilie Thérouin, adjointe Europe Ecologie au Maire d’Amiens à la sécurité, contactée par Marianne2. Car derrière, il y a souvent un blocage politique. Quoique le PS ait toujours eu une position ambiguë sur le sujet. Au plan national, la rue de Solférino tente tant bien que mal de ménager la chèvre libertaire et le chou sécuritaire. Le parti tergiverse sur l’endroit où les placer : uniquement dans les transports publics ou dans tous les lieux publics. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë assume lui clairement de truffer la capitale de caméras. Pourtant, le ministère de l’Intérieur a conscience de marcher sur des œufs, surtout que ce sont les maires qui vont payer la facture au final. « Avec le recul, les maires commencent à comprendre que cela coûte cher », commente Emilie Thérouin.

Solférino entre la chèvre libertaire et le chou sécuritaire

Car, évidemment, le principal blocage reste financier. Et un maire peut difficilement accepter de sortir le carnet de chèques pour des caméras à l’efficacité discutable alors que 4000 postes de policiers ont déjà été supprimés depuis 2007. Sans compter les fermetures de commissariats ou d’escadrons de gendarmerie mobile. Promouvoir la vidéosurveillance ne relève pas que de l’amour de la technologie mais d’une volonté de faire peser sur les maires les contraintes budgétaires de l’Etat. Pourtant, ce dernier aide les communes à s’équiper.

Cette aide passe notamment par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance. En 2011, il devrait consacrer 30 millions d’euros à cette politique comme en 2010, selon le ministère de l’Intérieur. Un programme exceptionnel de 20 millions d'euros a également été mis en place en 2010. Le FIPD peut financer jusqu'à 50% d'un plan d’installation de caméras. Et ce point est particulièrement sensible, si les autres volets financés par le FIDP sont gérés localement par le Préfet, le volet vidéosurveillance est géré directement par la Place Beauvau.

« Il y a tout un travail de pédagogie, cela prend du temps », explique le cabinet de Claude Guéant qui estime que les 45 000 caméras en 2011 restent un « objectif raisonnable ». Le problème que certains maires n’ont pas envie de servir d’alibis au discours gouvernemental. « Le FIPD est là pour faire la promotion d’une politique aveugle », déplore de son côté Emilie Thérouin. L’élue note également une évolution des arguments pour vendre le dispositif aux élus :  « On a un discours plus élaboré, on parle des effets sur l’élucidation des infractions» plutôt que sur leur prévention.  D'ailleurs, les « sources policières » et les procureurs ne se privent jamais de communiquer lorsqu’un délinquant a été arrêté grâce à la vidéosurveillance. Ce fut notamment le cas du voleur du portable.. d’Olivier Besancenot. A croire que certaines fuites n’arrivent pas par hasard.

Recul de l'Etat

Mais il est vrai que l’argument de l’aide à la répression des crimes fait plus mouche que l’argument de la dissuasion. Les opposants à la vidéosurveillance pouvant toujours rétorquer que les délinquants se font que se déplacer vers des lieux non surveillés. Pour autant, malgré ces nouveaux éléments de langage, les maires peuvent avoir des réticences à jouer les supplétifs de la police judiciaire. « Ce n’est pas le boulot du Maire d’aider les enquêtes », dénonce Emilie Therouin. Dans sa ville, la police nationale réquisitionne trois ou quatre fois par mois les images de la vidéosurveillance. A Boulogne-Billancourt, il y a eu 17 réquisitions .. en trois ans.

La vidéosurveillance est donc un vecteur par lequel les municipalités sont amenées à collaborer plus étroitement avec la police nationale. Des éléments qui vont dans le sens d’un certain recul de l’Etat dans ce domaine. Les sociétés de vigiles prennent de plus en plus d’importance. Le gouvernement souhaitait aussi, à travers la Loppsi, que les policiers municipaux puissent procéder à des contrôles d’identités. Mais le Conseil Constitutionnel a censuré cette disposition. Il a également censuré la disposition permettant aux entreprises privées de surveiller les rues aux alentours de leurs bâtiments. Les Sages estiment en effet qu’il s'agit là d' « une délégation à ces personnes de tâches inhérentes à l'exercice par l'État de ses missions de souveraineté » et méconnaît ainsi «les exigences constitutionnelles liées à la protection de la liberté individuelle et de la vie privée».

Il y a en revanche des maires bien plus coopératifs. Comme Pierre-Christophe Baguet, maire UMP de Boulogne-Billancourt. Sa ville, pas forcément la plus criminogène d’Île-de-France, est actuellement équipée de 35 caméras de voie publique et bientôt de 45 d’ici 2012. Récemment, la Chambre régionale des comptes avait attaqué son dispositif trop cher, trop subventionné et peu efficace. Avec notamment un point noir : 5 caméras, installées par l’ancien maire UMP Jean-Jacques Fourcade (et rival de Baguet), n’ont jamais fonctionné. La Ville a pourtant déboursé 124 156,98 euros pour leur installation.

Financement mal orienté

Joint par Marianne2, Pierre-Christophe Baguet renvoie la balle à son prédécesseur. Il affirme que c’est Jean-Jacques Fourcade qui a sorti le chèque pour un dispositif inactif : « Je n’ai jamais payé pour des caméras ne marchant pas », explique Pierre-Christophe Baguet.  Mais alors pourquoi ne pas avoir réparé ces caméras ? « Il s’agit d’une technologie obsolète et l’alimentation n’est pas adaptée », répond l’édile parlant d'« opérations malheureuses » de la précédente majorité. Il ajoute : « On aurait dépensé beaucoup trop d’argent en les rénovant, maintenant on est dans un nouveau dispositif ».

Et si l’Etat, à travers le FIPD, finance les nouvelles caméras, il ne finance pas l’entretien de l’existant note Emilie Thérouin. Pire, trop faible, ce financement public est de plus mal orienté.  Car, le FIPD finance les caméras sur la voie publique, pas dans les transports en commun. Pourtant, même des élus de gauche critiques envers les caméras de voie publique, sont ouverts à des caméras dans ces endroits clos. Il est possible d’échapper à l'objectif en prenant une rue adjacente mais pas de descendre d’un bus en marche. Emilie Thérouin se dit elle « extrêmement pragmatique » sur le sujet. Pour l'élue, « la vidéosurveillance, dans des espaces complexes comme une rue, c’est débile mais dans un espace clos, c’est envisageable ». Les objectifs annoncés par Guéant semblent donc relever du pur affichage. Mais, pour le gouvernement, les seules caméras qui comptent en matière de sécurité, ce sont celles de TF1.
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Rédigé par SDPM

Publié dans #politique et sécurité

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