Le Figaro : Sollicités par Vigipirate, les policiers municipaux relancent le débat sur les armes
Publié le 28 Avril 2015
Alors qu’ils sont appelés à protéger aussi les églises, seuls 43 % d’entre eux sont équipés.
CHRISTOPHE CORNEVIN
SECURITÉ Vent de révolte sous les képis. Alors que le plan Vigipirate nécessite une mobilisation maximale pour faire face à un risque terroriste jamais atteint, les policiers municipaux amorcent une nouvelle fronde. Motif de leur courroux ? Le télégramme adressé par Bernard Cazeneuve aux préfets et patrons des forces de l’ordre après l’attentat avorté contre au moins une église de Villejuif.
Daté du 23 avril et porté à la connaissance du Figaro, le document précise une « série de mesures de vigilance à l’égard des sites exposés à la commission d’actes terroristes ». Évoquant le « caractère diffus de la menace », le ministre de l’Intérieur entend « rendre nos pratiques moins statiques, donc moins prévisibles par ceux qui cherchent à commettre des attentats et qui, pour les préparer, observent nos dispositifs pour mieux les contourner ». Avant de rajouter qu’« une vigilance appuyée sera organisée au moment des offices, dans toute la mesure du possible. L’implication des polices municipales sera sollicitée par vos soins auprès des maires des communes qui en sont dotées. » Il n’en fallait guère plus pour mettre le feu aux poudres.
Endeuillée par l’assassinat de Clarissa Jean-Philippe, froidement abattue à Montrouge par Amedy Coulibaly, la profession a les nerfs à vif. Ayant la fâcheuse impression d’être exposée en première ligne à une délinquance toujours plus violente sans avoir les moyens de riposter, elle rappelle que seuls 43 % des effectifs municipaux sont équipés d’arme à feu. Et qu’un tiers sont dépourvus de gilets pare-balles. « Aujourd’hui, face à une nouvelle menace contre les églises chrétiennes, le gouvernement, sachant que les forces de l’ordre sont au bout de leurs moyens humains, demande davantage l’implication des maires et des polices municipales dans la protection des lieux de culte », grogne le Syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM), qui revendique 300 sections locales à travers le pays. Dans le contexte postattentats, les agents territoriaux pensaient pouvoir bénéficier de facilités pour armer le reste des troupes. « Mais certains préfets, comme en Vendée, dans l’Aube et dans l’Ariège, s’opposent par principe à l’armement de leur police municipale sur leur département », s’indigne le SDPM, qui, dans l’attente d’un prochain recours devant le Conseil d’État, fustige, une « position illégale » allant à « l’encontre de la liberté des communes et des choix des maires » ainsi que des « instructions du ministre de l’Intérieur ». « Les préfets, qui étudient les dossiers cas par cas, n’émettent pas des refus de principe mais d’opportunité », rétorque-t-on Place Beauvau, qui rappelle que les autorisations d’armement sont examinées « au cas par cas, selon une législation précise », en fonction du profil du policier municipal mais aussi de la situation de la délinquance dans la commune. « Inutile de se lancer dans une course à l’armement dans des secteurs ruraux qui ne le nécessitent pas », résume une source ministérielle. Soucieux de répondre aux attentes des agents municipaux, Bernard Cazeneuve a lancé dès janvier un plan ad hoc. Le 23 mars dernier, il a crédité le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) d’une enveloppe de 20 millions d’euros pour permettre notamment de subventionner à hauteur de 50 % l’achat de gilets pare-balles par les collectivités territoriales. Par ailleurs, 4 000 pistolets « police » 357 Magnum devraient d’ici à la fin de l’année être rechambrés en calibre 38 pour être conformes aux normes en vigueur. Alors que 10 700 postes de policier et de gendarme ont été supprimés en cinq ans, l’enjeu des polices municipales est de taille.
« Nous ne sommes pas des roues de secours, clame de son côté le Syndicat national des policiers municipaux (SNPM). Si le ministre de l’Intérieur veut notre implication dans Vigipirate, qu’il généralise les polices municipales, qu’il rende l’armement obligatoire, qu’il crée une doctrine d’emploi nationale, qu’il octroie des moyens matériels et de communication, ainsi que des formations uniques et reconnues pour tous, comme le proposait, le 4 octobre 2011, Manuel Valls, alors candidat à la primaire socialiste ». Une bouderie persistante pourrait faire tâche dans la nécessaire union nationale que la Place Beauvau appelle de ses vœux.
Président National du Syndicat de Défense des Policiers Municipaux
Nous ne voulons pas être des cibles vivantes...
Vous criez votre colère mais en quoi un policier municipal ne pourrait protéger une église sur sa commune ?
Parce que nous sommes face à un véritable scandale. À l’heure où la menace terroriste est à son maximum et que les églises sont prises pour cibles, on demande une fois encore aux policiers municipaux de s’impliquer davantage pour venir en appui à nos collègues de la police d’État pour sécuriser les lieux de culte. Au lendemain de l’assassinat lâche et gratuit par Amedy Coulibaly de notre jeune collègue Clarissa Jean-Philippe, en janvier dernier à Montrouge, nous avions été reçus en urgence au ministère de l’Intérieur et avions obtenu la garantie que l’État ne s’opposerait pas aux armements des policiers municipaux si le maire le demandait et si toutes les conditions déontologiques étaient requises. À l’échelon local, certains préfets opposent pourtant leur veto pour des raisons non pas objectives mais purement politiques ou idéologiques.
Quelle est aujourd’hui la situation ?
Notre profession, qui attend toujours la dotation de 4 000 pistolets supplémentaires, n’est pas en mesure d’assurer des missions à hauts risques sans moyen. Plus de la moitié des effectifs communaux ne disposent pas d’arme de poing et un tiers est dépourvu de gilet pare-balles. Si un policier municipal ne peut assurer sa propre sécurité, comment protéger celle des concitoyens ? Face à des voyous, et maintenant aussi des fondamentalistes surarmés et entraînés, nous ne voulons pas être des cibles vivantes.
Que préconisez-vous ?
Remettre les choses dans l’ordre et mobiliser l’opinion. D’abord, je rappelle, comme l’a fait un récent rapport de la Cour des comptes, que la police municipale est la première force de voie publique. Ensuite, il faut se souvenir que notre dernier appel au droit de retrait après les attentats de janvier avait été observé par 25 % de la profession en Ile-de-France. À cette occasion, certains se sont rendus compte que la police municipale était capitale car nombre de riverains sont venus pour soudain évoquer un sentiment d’insécurité. Un débat général est amorcé sur la question de notre armement. Il est relayé par plus d’une cinquantaine de maires de la région parisienne et des parlementaires de l’opposition qui ont porté déjà ce sujet à l’Assemblée nationale.
Propos recueillis par C. C.
Une école de police spécifique
Réclamant à l’envi « l’uniformisation de l’armement sur l’ensemble du territoire national », les municipaux veulent se professionnaliser en demandant notamment l’ouverture d’une école de police spécifique. Le format moyen d’une brigade municipale est de 11,5 agents par commune, sachant que 60 % des effectifs sont déployés en zone police. Le tout pour une rémunération nette mensuelle qui n’excède pas les 1 500 euros au bout de vingt ans de bons et loyaux services. Les pensions de retraite, quant à elles, oscillaient autour de 900 euros il y a trois ans. Rappelant sans cesse que les missions d’ordre public sont « régaliennes », les policiers municipaux veulent aussi revoir à la hausse leurs salaires.
C. C.
Forte de 20 000 agents, la troisième force de sécurité a soif de reconnaissance
Secouée par la mort de leur collègue Aurélie Fouquet, fauchée à l’âge de 26 ans d’une rafale de kalachnikov lors d’une fusillade en 2010 avec des braqueurs endurcis sur l’A4, la profession se sent depuis longue date comme mal-aimée dans le paysage des services de sécurité, alors même qu’elle n’a cessé de voir gonfler ses effectifs. Selon un dernier état des lieux, le nombre des policiers municipaux a littéralement explosé, passant de 4 000 en 1984 à près de 20 000 hommes et femmes affectés dans quelque 3 500 communes. Elles n’étaient que 1 700 à en être pourvues en 1980. Ces effectifs en tenue, déployés pour plus de 90 % d’entre eux sur le terrain, représentent 11 % de la sécurité publique.
C. C.
Une proposition de loi sénatoriale pour créer une police municipale à Paris
Christophe CORNEVIN
Véritable serpent de mer, l’idée de créer une police municipale dans la capitale refait surface. Débattue au Sénat le 21 mai, une proposition de loi suggère de modifier les pouvoirs de police de la Ville. Un statut unique en France puisqu’en vertu de l’arrêté du 12 messidor an VIII (1er juillet 1800) remontant à Bonaparte, le préfet de police est tout-puissant en la matière. Présenté par le sénateur centriste, Yves Pozzo di Borgo et cosignée par l’UMP Pierre Charon, le texte veut aligner « le statut de Paris sur celui des autres grandes villes où la police est étatisée, tout en restant une prérogative locale du maire ». Dès février 2014, l’ex-directeur général de la police nationale Frédéric Péchenard défendait le projet de Nathalie Kosciusko-Morizet de créer une police municipale. L’ancien grand flic devenu conseiller de Paris et directeur général de l’UMP expliquait dans Le Figaro : « les 3 000 fonctionnaires payés par la Ville et ayant le statut d’agent de police judiciaire adjoint en formeraient l’ossature. »
C. C.
Christophe CORNEVIN
Publié le 28/04/2015 - Journal du 29/04/2015
COMMENTAIRES DU SDPM
Les préfets, qui étudient les dossiers cas par cas, n’émettent pas des refus de principe mais d’opportunité. (...) Inutile de se lancer dans une course à l’armement dans des secteurs ruraux qui ne le nécessitent pas.
Chacun pourra noter que les propos du Ministère de l'Intérieur sont en contradiction écrite avec les pièces que nous avons fournies dans notre précédent article, où certains Préfets décident non pas au cas par cas, mais de manière généralisée de ne pas armer les services de police municipale de leur département.
Par ailleurs, le Ministère semble avoir pris les syndicats pour des idiots lorsqu'il annonçait en début d'année que les Préfets n'opposeraient pas de difficulté à l'armement des Policiers Municipaux.
Encore une fois, certains syndicats généralistes ont bu les paroles du Ministère et de l'AMF, alors que le SDPM indiquait que les promesses n'engagent que ceux qui y croient !
Le Bureau national le 28 avril 2015.