Sud-Ouest - Plainte du SDPM à Biarritz (64) : l'ex-Sénateur-Maire et le Directeur de la Police Municipale jugés en correctionnelle

Publié le 17 Décembre 2015

PV annulés : l'ancien maire de Biarritz, Didier Borotra, répond de son « système »

L’ex-édile est jugé ce jeudi pour avoir annulé illégalement des milliers d’amende

Didier Borotra, maire de Biarritz, mardi 10 décembre 2013, au sortir de sa garde à vue et mise en examen

Didier Borotra, maire de Biarritz, mardi 10 décembre 2013, au sortir de sa garde à vue et mise en examen

Maître Olivier Schnerb ne faillira pas à la coutume qui est la sienne : pas de commentaire avant ou après une audience. L'avocat parisien de Didier Borotra se laisse tout de même aller à une appréciation concernant le procès de l'ancien maire de Biarritz et de son ex-directeur de la police municipale qui se tient aujourd'hui à 14 heures Bayonne : « Le rendez-vous sera à la hauteur des personnalités en cause. Cela va avoir de la tenue. »

Usages "coutumiers"

Les débats vont aborder une autre coutume, très locale. La pratique consistant, pour le maire de Biarritz à annuler les procès-verbaux de ses administrés. Usages que l'on peut qualifier de « coutumiers » car ils auraient débuté dès 1993 selon Me Jean-Baptiste Etcheverry, avocat de Xavier Blaisot. Les premiers signalements par le commissariat de Biarritz au parquet de Bayonne en 2001 n'avaient pas été suivis d'effets. Le procureur Pierre Hontag avait-il trop à faire avec ses propres ennuis judiciaires ?

5512 amendes pour 120 542 euros

5 512 TIMBRES-AMENDES. Selon l’enquête menée par la section économique et financière de la police judiciaire, dans le cadre de l’information judiciaire ouverte contre X par la procureure de la République de Bayonne Anne Kayanakis en 2012, 5 512 timbres-amendes ont été annulés de façon irrégulière pour des faits contraventionnels et délictuels.

120 542 EUROS. Tel est le montant des fonds publics qui auraient été « soutraits, détournés ou détruits par le dépositaire ou un de ses subordonnés ». Les procès-verbaux annulés concernent une période non couverte par la prescription : entre le 1er avril 2009 et le 31 mai 2013. Mais des abus avaient été relevés dès 2001 dans un rapport rédigé par le commissaire de police de Biarritz, transmis au parquet.

DIX ANS ENCOURUS.

Didier Borotra et Xavier Blaisot encourent dix ans de prison pour deux chefs de prévention que sont la soustraction, le détournement ou la destruction de fonds publics et pour avoir pris des mesures destinées à faire opposition à l’application de la loi. Pour le délit d’immixtion, soit l’usurpation de la fonction d’officier du Ministère public, les prévenus encourent trois ans de prison. Ceux-ci pourraient, en outre, être condamnés à des amendes et des incapacités civiques.

23 ANS À BIARRITZ.

Natif de Nantes le 30 août 1937, Didier Borotra a exercé la fonction de maire de Biarritz de 1989 à 2014. Comme élu de l’union centriste (MoDem), il fut sénateur de 1992 à 2011.

« Cela se disait, se savait »

À son arrivée au parquet de Bayonne en 2008, la procureure Anne Kayanakis entend parler des PV biarrots, et sollicite un rapport de vérification de la régie de la police municipale, puis un audit mené par la Direction départementale des finances publiques des Pyrénées-Atlantiques. Un rapport dont « Sud Ouest » a connaissance, qui révèle l'affaire en juin 2013.

« Manifestement, cela se disait, cela se savait. Il y avait des problèmes avec des contrevenants verbalisés à plusieurs reprises et qui disaient “ce n'est pas grave” », se souvient Cédric Michel, président du Syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM), partie civile. Les débats de ce jour vont se concentrer sur les faits commis sur une période non couverte par la prescription, soit entre le 1er avril 2009 et le 31 mai 2013.

Des instructions données à la police municipale

Quels Biarrots ont profité de ce que l'on peut qualifier de « système » au regard des milliers de timbres-amendes annulés de façon irrégulière, et qui auraient pu atteindre 10 % des amendes établies à l'année par la police municipale ? Pas seulement de riches estivants ou des Biarrots ayant de l'entregent, car « des instructions avaient été données à la police municipale de ne pas établir de contraventions pour certains faits contraventionnels et délictuels » avait précisé en décembre 2013, la procureure de la République Anne Kayanakis. Ainsi, le défaut de contrôle technique ou d'attestation d'assurance, l'usage du téléphone au volant, les excès de vitesse.

Un système fleurant le clientélisme mais pour lequel les deux prévenus n'ont jamais été soupçonnés d'enrichissement personnel. En décembre 2013, Didier Borotra et Xavier Blaisot étaient entendus par la police judiciaire sous le régime de la garde à vue, et mis en examen. Pas démonté au sortir de neuf heures de garde à vue, l'édile biarrot avait contesté le nombre de procès-verbaux annulés, et assuré que 30 % d'entre eux seraient liés à un « manque de discernement de la police municipale ». Dès lors, il avait fait valoir son statut de « premier officier de police judiciaire de la ville de Biarritz ».

Baïonnette intelligente

La thèse défendue par Didier Borotra et son avocat est la suivante : « La loi réserve l'opportunité des poursuites au procureur de la République pour les délits et les crimes » […] et laisse à l'officier de police judiciaire, et donc au maire un “droit d'appréciation” et donc de “classement”. « Or je suis officier de police judiciaire et il s'agit de contraventions au stationnement », insistait le maire en décembre 2013, dans un communiqué de presse.

« Si le système est déclaré illégal, le maire sera reconnu coupable mais pas forcément l'ex-directeur de la police municipale »

Les débats porteront donc sur le véritable titulaire de cette prérogative à propos de laquelle le parquet de Bayonne avait déjà apporté des précisions, suite aux déclarations de Didier Borotra, et que le procureur de la République, Samuel Vuelta Simon, devra à nouveau aborder. « Si le système est déclaré illégal, le maire sera reconnu coupable mais pas forcément M. Blaisot », annonce Me Jean-Baptiste Etcheverry, « car il fallait que l'ex-directeur de la police municipale ait apprécié que les ordres étaient “manifestement illégaux” ».

Selon l'avocat, Xavier Blaisot « n'a jamais reçu une lettre ni une demande pour modifier une pratique existante. C'est un système que personne n'a voulu remettre en cause ». Reste la théorie de la « baïonnette intelligente » en droit pénal, soit la condamnation de l'obéissance à un ordre manifestement illégal.

« Ma vérité sur les PV »

Il est enfin une dimension du procès que nul ne peut anticiper. S'il est présent, comment Didier Borotra argumentera-t-il face à des magistrats ? « Sa stratégie de communication est à l'attention de la population et non de la justice, car il a fini sa carrière politique », affirme Cédric Michel, président du SDPM. « Il dit aux gens : “Je suis le patron de la police municipale, mais on m'empêche de décider”. C'est un discours populiste et simpliste pour que les gens disent : “Le maire on le condamne, parce qu'il a donné des ordres à l'égard de la police municipale”. »

Dans son dernier éditorial de « Biarritz Magazine », intitulé « Ma vérité sur les PV », le maire de Biarritz avait assuré avoir « toujours agi passionnément au service de mes concitoyens ».

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